Actualités

Partager sur :

Comment calculer l'impact environnemental des énergies renouvelables ? (Isabelle Blanc)

12 février 2017 ParisTech Book
Vue 29 fois

Isabelle BLANC

Docteur de l’École des Mines de Paris (1991). Maître de recherches MINES ParisTech au sein du Centre d’Observation, Impacts, Énergie depuis 2010 après un parcours international comme experte en «Impacts Environnementaux» comme ingénieur de recherche à l’INERIS, consultante chez BIO Intelligence Services et chercheur à l’École Polytechnique Fédérale de Lausanne.

 

La transition énergétique et en particulier le bouquet électrique du futur font l’objet de nombreux débats. Celui-ci a divers impacts environnemen­taux, aussi bien locaux que globaux. On pense notamment aux émissions directes de gaz à effet de serre causées par la production d’électricité et de chaleur à partir des énergies fossiles, qui ont représenté 25 % des émissions mondiales en 20101. Pour lutter contre le changement climatique tout en assurant un approvisionnement en énergie soutenable, l’Union Européenne s’est fixée l’objectif «3 x 20» à l’horizon 2020 : 20% de réduction des émissions de gaz à effet de serre par rapport au niveau de 1990, 20% d’économie d’énergie et une part de 20% d’énergie renouvelable (EnR) dans le mix énergétique européen. Elle s’est récemment fixée des objec­tifs encore plus ambitieux à l’horizon 2030 avec 40% de réduction des émissions de gaz à effet de serre, 27% d’économie d’énergie et une part de 27% d’énergies renouve­lables. L’essor des renouvelables depuis le début des années 2000 devrait ainsi se poursuivre et s’amplifier dans les années à venir, modifier substantiellement le bouquet électrique du futur tout en limitant les impacts environnementaux asso­ciés. Il est donc indispensable d’étudier l’empreinte environ­nementale des différentes filières de production. En effet, si certains systèmes de production d’énergie renouvelable n’ont pas ou peu d’impacts durant leur phase de fonctionne­ment, ils ont néanmoins un effet sur l’environnement : en amont de la chaîne de production durant la phase de fabri­cation, et en aval pendant la fin de vie du système.

Par exemple, la dépendance des éoliennes au néodyme et au dysprosium, deux métaux de la famille des terres rares qui constituent les aimants permanents actuellement nécessaires pour l’alternateur, illustrent bien cette question sen­sible des ressources minérales : un déficit en dysprosium est prévisible à partir de 2020 compte tenu de l’augmentation de la demande actuelle. Autre exemple avec des technolo­gies photovoltaïques très prometteuses comme le CIGS (cuivre, indium, gallium, sélénium) qui sont confrontées aux mêmes enjeux : on estime à 20 ans seulement le ratio «réserves sur production» de l’indium.

Eoliennes

 

Pour cela, des outils existent comme l’analyse de cycle de vie, et les indicateurs qui en dérivent comme celui du temps de retour énergétique que nous présentons.

 

L’analyse du cycle de vie, un outil d’évaluation systémique et multicritère

L’analyse du cycle de vie (ACV) s’intéresse aux impacts envi­ronnementaux d’un produit ou d’un service sur l’ensemble de son cycle de vie. Elle repose sur l’agrégation des impacts environnementaux évalués à chaque étape depuis la fabrica­tion des éléments qui composent le système jusqu’à la fin de vie du système lui-même. Par exemple, dans le cas de la pro­duction d’électricité par un panneau photovoltaïque installé en France, on s’intéressera à la fabrication en Asie de ses cel­lules polymulti cristallines, au montage du panneau en Allemagne et à son installation en France. La réalisation d’une ACV s’appuie sur des inventaires de polluants et de consommations de ressources. Cette approche systémique, du «berceau à la tombe», a fait l’objet de nombreux travaux de standardisation par l’ISO (normes 14 040 et 14 044) et par la Commission européenne. Elle est considérée comme un outil performant d’aide à la décision et d’optimisation envi­ronnementale.

Grâce à ce type d’analyse, les impacts directs et indirects cau­sés par la production d’énergie peuvent être qualifiés et quantifiés selon différents indicateurs. Parmi les catégories d’impacts évalués à l’échelle de la planète figurent le poten­tiel de réchauffement climatique, la toxicité humaine, l’acidification, la consommation d’énergie primaire, mais aussi l’épuisement ou les pénuries prévisibles des ressources minérales et fossiles.

 

Un indicateur pertinent pour les renouvelables : le «temps de retour énergétique»

Le temps de retour énergétique est un indicateur particuliè­rement pertinent pour caractériser la performance environ­nementale des énergies renouvelables. Ces filières se carac­térisent par un investissement énergétique important en phase de fabrication mais une faible consommation énergé­tique en phase d’utilisation. Le temps de retour énergétique détermine le temps nécessaire pour qu’une filière produise une quantité d’énergie primaire équivalente à celle qui a été nécessaire à sa fabrication. Il s’exprime en années et est cal­culé par le ratio de l’énergie consommée lors de la fabrication du système sur l’énergie produite par le système sur une année. Cette dernière est basée sur l’énergie primaire néces­saire pour produire l’énergie électrique équivalente du pays où le système renouvelable est installé. Il s’agit donc d’un cal­cul spécifique au bouquet électrique du pays concerné.

À titre illustratif, le tableau suivant propose le temps de retour énergétique pour deux panneaux solaires photovol­taïques de puissance de 3kW crête (technologie monocristal-line et polymulticristalline) produits en Europe ou en Chine et installés en Europe. Cette précision géographique est essentielle, car ces temps de retour dépendent du contenu énergétique du kWh de la région d’installation. Dans le cas de l’Europe, le bouquet électrique moyen présente une valeur de 11,4 MJ/kWh d’énergie primaire par kWh d’électri-cité produite. Les temps de retour seraient supérieurs pour des installations identiques implantées dans des pays avec des bouquets énergétiques au contenu énergétique plus faible.

Temps de retour énergétique de panneaux photovoltaïques installés en Europe2

 

Mono-cristallin

Mono-cristallin

Multi

Poly-cristallin

Multi

Poly-cristallin

Durée de vie
de l’installation (années)

30

30

30

30

Lieu de fabrication

Europe

Chine

Europe

Chine

Lieu

d’installation

Europe

Europe

Europe

Europe

Irradiation solaire moyenne annuelle

1 700
kWh/m2

1 700
kWh/m2

1 700
kWh/m2

1 700
kWh/m2

Temps de retour énergétique (années)

1,96

2,34

1,24

1,45

 

Les inventaires de cycle de vie de ces systèmes sont néces­saires pour le calcul des énergies de fabrication des panneaux photovoltaïques, en couvrant tous les sous-systèmes et le transport induit. Dans le cadre de cet exemple, les valeurs d’in-ventaire de cycle de vie de ces systèmes, fabriqués en Europe ou en Chine, sont issues de la base de données Ecoinventv2.2 et sont représentatives d’une situation en 2011.

Les temps de retour énergétique sont de moins de deux années pour ces deux technologies lorsque les panneaux sont fabriqués en Europe et supérieurs de quelques mois lorsqu’ils sont fabriqués en Chine pour la technologie mono-cristalline. Cette approche «temps de retour» permet égale­ment de rendre compte d’un «rendement environnemental» en appliquant par exemple ce même raisonnement au poids carbone du cycle de vie des filières renouvelables : on parle alors de «temps de retour climatique».

 

La comparaison des filières de production électrique par analyse de cycle de vie

La caractérisation des filières énergétiques par l’analyse de cycle de vie et les indicateurs de temps de retour qui en déri­vent permettent de comparer les filières et d’identifier des solutions d’amélioration. Elle permet aussi de nourrir le débat technique et sociétal que fait émerger l’essor des renouvelables dans les bouquets de production électrique.

C’est dans cette optique que le GIEC a conduit en 2011 une étude compilant des articles scientifiques sur l’indicateur de performance carbone3. Cet indicateur (en g de CO2-eq / kWh) rapporte l’émission des gaz à effet de serre sur tout le cycle de vie de la filière, à la production d’électricité. L’étude visait à comparer les filières énergies fossiles (charbon, gaz et gaz naturel), la filière nucléaire et les énergies renouvelables. Cette compilation a permis de révéler l’ampleur de la distri­bution des résultats pour chacune des filières reflétant ainsi la très grande variabilité des conditions locales et des carac­téristiques technologiques des systèmes dans les études dis­ponibles. Il serait donc illusoire de vouloir caractériser chaque filière par une valeur unique et absolue de perfor­mance carbone. Cette interprétation trop simpliste offrirait une vision partielle du problème.

La plage de variation de l’indicateur de performance carbone souligne la meilleure performance des renouvelables. C’est un point important. Mais le carbone n’est qu’un indicateur parmi d’autres. Qu’en est-il des autres impacts environne­mentaux tels que l’épuisement des ressources naturelles ou la santé humaine ? L’étude ne se limitant qu’à l’indicateur de performance carbone mériterait d’être élargie à d’autres indi­cateurs.

Pour contribuer au débat sur la transition énergétique, ces évaluations environnementales par filière doivent être conduites à bon escient, c’est-à-dire en tenant compte des spécificités technologiques et des spécificités locales. Ainsi menées, elles sont précieuses, car elles doivent permettre de nourrir la comparaison des bouquets énergétiques de pro­duction électrique, comme dans l’exemple qui suit : la Guadeloupe.

 

Une analyse de cycle de vie à l’échelle d’un territoire

Le centre Observation Impacts Énergie de MINES Paristech a mené une première analyse de cycle de vie à l’échelle d’un territoire4 pour évaluer l’impact environnemental de mix électriques prospectifs pour la Guadeloupe. Si l’objectif du Grenelle de l’Environnement est d’atteindre, en 2020, 23% de la production électrique sur l’ensemble du territoire national via les renouvelables, l’objectif pour les Départements et Régions d’Outre-Mer est de 50%, avec un objectif ultime de 100% et l’autosuffisance énergétique à l’horizon 2030.

 

Géothermie bouillante à la Guadeloupe

 

Le choix de la Guadeloupe n’est pas indifférent. Cette île vol­canique est un laboratoire pour la géothermie avec la cen­trale de Bouillante, première centrale géothermique produc­trice d’électricité en France, d’une puissance de 15 MW.

L’étude compare le scénario de référence du mix électrique en 2013 avec trois scénarios à l’horizon 2030 intégrant les objectifs du Grenelle de l’Environnement en matière de maî­trise des consommations et de développement des renouve­lables. Elle repose sur 13 indicateurs d’impacts (changement climatique, toxicité humaine, diminution des ressources fos­siles, acidification, eutrophisation, etc.) permettant d’évaluer chacune des filières de production électrique dont six renouvelables : géothermie, biomasse (bagasse, canne fibre), éolien, photovoltaïque, hydraulique, recyclage des déchets et biogaz. La définition des quatre scénarios de développe­ment du mix électrique guadeloupéen est basée sur les tra­vaux réalisés par la Région Guadeloupe dans le cadre du PRE-RURE5 :

  • Le scénario de base utilisé comme référence représente l’état du mix électrique guadeloupéen en 2013, soit 83% d’énergies fossiles, importées pour la majeure partie. Il sert de comparaison avec les scénarios futurs et permet d’éva-luer les impacts relatifs aux décisions de planification énergétique. Les renouvelables représentent 17% du mix élec­trique.
  • Le scénario tendanciel suit les tendances observées lors des dernières années en termes de demande énergétique sans aucun effort particulier en faveur du développement des énergies renouvelables et du renforcement des actions de maitrise de demande en énergie (MDE).
  • Le scénario Prérure est le reflet d’un effort accentué en matière de maîtrise des consommations et de développe­ment des filières renouvelables (à hauteur de 75% du mix électrique). Il est construit de façon à favoriser une diversi­fication du mix énergétique. La géothermie se développe pour atteindre une puissance de 85 MW à l’horizon 2030.
  • Le scénario modéré, établi spécifiquement dans le cadre du projet, est le reflet d’un effort modéré de la maîtrise des consommations d’une part, et du développement des renouvelables, d’autre part. La filière géothermie atteint une puissance de 45 MW.

Les phases du cycle de vie du système électrique guadelou­péen retenues comprennent la construction, la production et le transport de l’énergie. Les impacts liés à l’utilisation fina­le de l’électricité ne sont pas inclus, pas plus que le stockage de l’électricité ou les processus de recyclage et de fin de vie. Les inventaires des technologies de conversion d’énergie ont été réalisés dans les limites des détails disponibles propres à chaque technologie.

Les résultats de cette étude peuvent être illustrés à travers quatre impacts environnementaux représentatifs :

  • Le potentiel de réchauffement global, qui recense les gaz à effet de serre par kWh électrique produit, respecte quasi­ment un facteur 4, c’est-à-dire une réduction par quatre des gaz à effet de serre entre le scénario actuel et le scénario Prérure, grâce à la réduction très significative des énergies fossiles et l’abandon du charbon.
  • L’acidification (aptitude des substances à créer et à relâcher des ions H+ exprimée en équivalent dioxyde de soufre SO2) peut avoir des impacts directs et indirects sur les éco­systèmes (pluie acide et lessivage des sols). Cet impact suit le même schéma de réduction pour les scénarios étudiés que le potentiel de réchauffement global.

  • L’écotoxicité, exprimée en CTUe (Comparative ToxicUnits) correspond à une estimation de la fraction d’espèces potentiellement affectées, intégrée dans le temps et l’espa-ce, par unité de masse de substance chimique émise. On observe une diminution de l’impact de la filière bagasse entre le scénario de base et le scénario tendanciel alors que sa part du mix de production électrique reste très similaire (respectivement 2,6% et 2,3%). Cette différence est impu­table à l’hypothèse de diminution de l’utilisation de pesti­cide (arrêt de l’utilisation de diuron dans les trois scénarios prospectifs suite à son interdiction récente en Guadeloupe). Les impacts sont en revanche plus impor­tants dans les scénarios modérés et Prérure et sont la conséquence directe du développement de la filière canne et canne fibre pour ces deux scénarios prospectifs.
  • L’eutrophisation marine, exprimée en kg d’azote, permet d’évaluer le potentiel d’eutrophisation du milieu marin. L’eutrophisation correspond à un processus d’accumula-tion de nutriments et peut entraîner des problèmes sur la santé du milieu touché (perte de diversité, dégradation). L’étude fait apparaître une forte diminution de cet impact dans les trois scénarios prospectifs. Elle est principalement liée aux efforts importants de limitation des émissions d’oxydes d’azote (NOx) et d’ammonium (NH4+) des cen­trales thermiques qui sont équipées d’un dispositif de déni­trification des fumées censé réduire de 85% les émissions de NOx.

Au-delà des résultats obtenus, cette étude d’analyse de cycle de vie sur le mix électrique d’un territoire participe au débat de la mise en œuvre de la transition énergétique : elle pro­pose une première évaluation des impacts générés par des choix de filières sur ce mix, permet de révéler les filières ayant le plus d’impact selon les différents indicateurs sélectionnés, permet aussi de révéler les tendances contradictoires de ces choix sur les différents impacts, et contribue ainsi à peser sur les décisions de planification sur le territoire de la Guadeloupe.

En s’appuyant sur ces études d’ACV, on peut identifier les enjeux d’un développement d’énergie durable pour un terri­toire : l’optimisation des res­sources locales (renouvelables ou non) pour répondre à la demande en énergie, la maîtrise des flux d’importation de com­bustibles fossiles, de biomasse ou d’électricité, et bien sûr la minimisation des «fuites envi­ronnementales» à l’instar des fuites carbone6. ■

1 «Chiffres clés du climat» édition 2015, Rapport du SoES.

2 D’après «Energy payback time and carbon footprint of commercial photo-voltaic systems», Mariska de Wild-Scholten, Solar Energy Materials & Solar Cells, 119 (2013) 296-305.

3Étude IPCC, Moomaw, W., P. Burgherr, G. Heath, M. Lenzen, J. Nyboer, A. Verbruggen, 2011: Annex II: Methodology. In IPCC Special Report on Renewable Energy Sources and Climate Change Mitigation [O. Edenhofer, R. Pichs‐Madruga, Y. Sokona, K. Seyboth, P. Matschoss, S. Kadner, T. Zwickel, P. Eickemeier, G. Hansen, S. Schlömer, C. von Stechow (eds)], Cambridge University Press, Cambridge, United Kingdom and New York, NY, USA.

4Le projet de recherche EVALGTHDOM, mené en partenariat avec le BRGM avec le soutien de l’ADEME.Voir la vidéo du projet en ligne « Accompagner la Guadeloupe vers l’autosuffisance énergétique».

5Plan énergétique régional pluriannuel de prospection et d’exploitation des énergies renouvelables et d’utilisation rationnelle de l’énergie de la Guadeloupe.

6Commissariat général au Développement durable, http://www.statis-tiques.developpement-durable.gouv.fr/lessentiel/ar/206/204/comparai-son-internationale-lempreinte-carbone-demande.html

 




J'aime

Aucun commentaire

Vous devez être connecté pour laisser un commentaire. Connectez-vous.