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Livraisons et autres petits déplacements : l'enjeu du dernier km (Patrick Souhait)

12 février 2017 ParisTech Book
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Notre vie quotidienne de citadins connaît depuis quelques années de profonds changements, dont nous ne sommes pas toujours conscients. Nous accordons au temps gagné une valeur de plus en plus grande (l’arrivée des smartphones y est pour beaucoup). L’évolution des pratiques médicales permet le maintien à domicile des personnes malades. L’impact de la société de consommation sur l’environnement fait l’objet d’une véritable prise de conscience. Le vieillissement démographique impose d’adapter la société aux plus de 11 millions de Français qui ont plus de 65 ans (dont plus de 5 millions ont plus de 75 ans). Enfin, en centre-ville, nous sommes de moins en moins nombreux à posséder un véhicule.

Quel est l’impact de ces évolutions sur les petits déplacements ? Tout d’abord ceux-ci se multiplient, notamment les livraisons. Prenons un exemple : nous sommes lundi, et je souhaite offrir ce week-end une tablette et sa housse à un parent malade bloqué à son domicile. Mon réflexe va être de commander une tablette sur le site internet du constructeur (en provenance de Shanghai) pour bénéficier de son SAV, la housse de protection de la tablette (en provenance de Nancy où un artisan fait de magnifique housses personnalisées) sur un autre site internet, l’abonnement 4G de la tablette sur un troisième site. Je vais aussi retourner la housse le lendemain car finalement la couleur n’est pas celle que j’avais décelé sur le site ; je devrai enfin attendre en urgence la bonne housse car le week-end se rapproche.

Dans cet exemple, mon cadeau nécessitera la livraison de trois colis, le retour d’un et la livraison de la housse échangée. Au total cinq colis transportés par cinq livreurs puisque rien ne relie ces produits en dehors de mon adresse. Au total donc cinq trajets entre des entrepôts et mon domicile, trajets de quelques centaines de mètres à quelques kilomètres pour le livreur. C’est un exemple de tous ces petits déplacements dans nos quartiers, que nous ne voulons pas voir, mais qui animent la ville au quotidien.

Le maintien à domicile des personnes malades, une démarche économique qui répond aussi à des enjeux de bien-être, a fait apparaître de nouveaux petits déplacements : l’apport à domicile de traitements personnalisés, dont certains doivent être maintenus à température…

La prise de conscience de l’impact de notre consommation sur l’environnement et le recul de la voiture individuelle se sont accompagnés, en centre-ville, de la réapparition de commerces plus petits aux plages d’ouverture plus larges. On voit se développer de nouveaux trajets, en adéquation entre autres aux attentes des personnes âgées, pour qui « faire les courses » est à la fois source de rencontres avec les autres et source de difficultés à porter ces objets lourds ; mais aussi plus généralement aux attentes des personnes non motorisées, de plus en plus nombreuses au sein de la « génération Y » et des suivantes, qui apprécient d’être livrées à leur retour du travail, des loisirs...

N’oublions pas enfin les petits trajets que nous faisons nous-mêmes avec le coffre plein de plantes pour nos jardinières, ceux que font les agents de l’entretien pour rendre nos quartiers propres, ceux des artisans et des professionnels de la construction et de la réparation…

 

À chaque livraison son véhicule

Savez-vous qu’en Ile-de-France, il y a chaque semaine plus de 4,2 millions de livraisons et enlèvements de marchandises ? Ceux-ci sont réalisés par plusieurs types de véhicules et nécessitent des durées de stationnement différentes. Précisons.

Les 2-3 roues (4% des véhicules) stationnent en moyenne 6 minutes pour une réception et 5 pour une expédition.

Les fourgonnettes (26% des véhicules) stationnent en moyenne 10 minutes pour une réception et 18 pour une expédition.

Les camionnettes (31% des véhicules) stationnent en moyenne 10 minutes pour une réception et 27 pour une expédition.

Les camions porteurs (31% des véhicules) stationnent en moyenne 22 minutes pour une réception et 34 pour une expédition.

Les camions articulés (8% des véhicules) stationnent en moyenne 38 minutes pour une réception et 34 pour une expédition.

Les acteurs du transport de marchandises font déjà le choix du meilleur outil (véhicule), en fonction de trois grands paramètres : le volume et le poids des colis, la distance à parcourir, la rentabilité de la livraison. L’optimisation de ces paramètres rend l’évolution du transport de marchandises en centre-ville plus complexe qu’il n’y paraît, notamment sur les petits trajets de quartier. Entre la carte SIM de votre téléphone et la tonne de sable pour le chantier au coin de la rue, entre la pièce nécessaire pour réparer votre ascenseur et les produits pour votre dialyse à la maison, la réponse n’est pas la même. Mais il y a un point commun à tous ces véhicules circulant actuellement dans nos villes sur de petits trajets : plus de 99% d’entre eux (hormis les 2-3 roues bien sûr) carburent au diesel.

Par ailleurs, les entreprises du commerce et de l’artisanat sont encore faiblement « technologiques », et la livraison à domicile reste encore peu proposée. Quelques chiffres en témoignent. Dans l’artisanat et les services, 5% des entreprises proposent la livraison à domicile en sortie de caisse, 4% par Internet. Dans l’industrie ces chiffres sont respectivement de 8 et 7%, chez les grossistes de 9 et 7%, dans les grands magasins de 65 et 28%. Le nombre de colis et celui de petits trajets de marchandises vont sans doute croître encore fortement dans les prochaines années. Car si les commandes peuvent être dématérialisées, les biens à livrer doivent et devront être livrés physiquement encore pour de nombreuses années (avant de voir arriver chez nous nos colis par drones ou via l’impression 3D).

Cette croissance veut-elle dire plus de diesel dans nos quartiers ? La question prend d’autant plus de sens quand on a lu le Rapport de la Commission d’enquête du Sénat sur le coût économique et financier de la pollution de l’air. Le diesel est désigné comme la source de 16% des émissions nationales de particules fines PM10, de 19% des émissions de particules PM2,5 et de 59% des émissions d’oxydes d’azote (NOx). Le rapport note une grande disparité en fonction des territoires. Pour exemple, le transport provoquerait 30% des émissions de PM2,5 en Ile-de-France et 58% dans Paris.

Certes, les nouveaux diesels sont nettement moins polluants que les modèles lancés il y a ne serait-ce que dix ans. Mais il n’en reste pas moins que les moteurs à essence ou au gasoil émettent du CO2 et que les réglementations sont appelées à se durcir, sans parler de la sensibilité du public à ces questions.

Comment concilier ces contraintes avec la croissance du nombre de petits trajets dans les quartiers urbains ? Il existe plusieurs axes d’évolution pour les acteurs de la livraison du dernier kilomètre : la mutualisation des moyens, l’évolution des véhicules, le foncier logistique, l’accueil des véhicules de livraison (place de stationnement), les clients livrés.

En les combinant, chaque acteur du transport de marchandises peut, suivant ses propres contraintes, élaborer des scénarios vertueux. Évoquons chaque axe.

 

Les véhicules

Depuis quelques années une transition s’opère pour les petits trajets vers des véhicules propres électriques et à gaz, même si le moteur diesel est encore très présent.

À titre d’exemple, le transport de marchandises dans Paris représente aujourd’hui environ 25% de la consommation totale des transports (y compris les transports de personnes) et plus de 50% du diesel consommé ; elle représente aussi 60% des émissions de particules et 25% des émissions de gaz à effet de serre.

Pour modifier cette situation il faut repartir des trois paramètres : volume et poids des colis, distance à parcourir avec la marchandise, rentabilité de la livraison.

Le choix d’une énergie unique (diesel aujourd’hui, électrique, gaz demain) ne permet pas d’apporter LA réponse à tous les cas. Utiliser un véhicule diesel pour effectuer quelques kilomètres avec des colis de 5 kg apporte, si ce n’est pour son coût facial d’achat, plus d’inconvénients que d’avantages ; le véhicule électrique, associé au modèle de location de véhicules avec services, permet alors d’apporter de véritables atouts (pas de pollutions, pas de bruit) et contribue à un meilleur service pour tous ces mêmes acteurs. À l’opposé, utiliser un véhicule électrique pour venir réapprovisionner un magasin de meubles (besoin de véhicules à gros volumes) ou un supermarché de centre-ville (besoin de véhicules avec beaucoup de charge utile) semble inadéquat au vu des offres existantes. Les véhicules au gaz auraient en revanche une vraie valeur.

À ce stade il est nécessaire d’aborder un autre point de l’économie du transport de marchandises : « faire le plein » d’énergie. La recherche de productivité en lien avec les enjeux économiques du petit trajet impose un réseau de distribution d’énergie à proximité pour ne pas accroître les coûts d’exploitation. Le schéma énergétique idéal s’appuierait, en complément des stations diesel, là où elles existent déjà (il est à noter que les stations-services ont dans leur très grande majorité été écartées des centres-ville), sur plusieurs éléments.

Tout d’abord des bornes de recharge électrique dans les entrepôts et en centre-ville. Si les premières existent déjà, avec dans la très grande majorité des cas une puissance suffisante face aux besoins actuels, les secondes sont en cours de déploiement (voir le Livre vert du préfet Vuibert). Dans la très grande majorité elles représentent une réassurance pour le conducteur car les batteries existantes (quelles que soient leur technologie) permettent de réaliser sereinement ces petits trajets. Ensuite, des stations de gaz en périphérie de ville pour des déplacements plus longs en périurbain.

Dès aujourd’hui des constructeurs comme Renault, PSA avec leurs fourgonnettes (Kangoo ZE, Berlingo, Partner…), mais aussi comme Muses avec ses camionnettes Mooville, démontrent quotidiennement que leurs véhicules à motorisation électrique répondent parfaitement aux besoins d’autonomie, de confort de conduite de ces petits déplacements urbains des marchandises. Leur complémentarité d’usage, de réponses économiques aux besoins de la livraison en font aujourd’hui de véritables outils industriels.

Il est à noter que les véhicules électriques conçus autour de l’énergie électrique peuvent utiliser de plus le frein électrique sur la pédale de frein, ce qui limite de manière significative l’émission des particules des garnitures de frein.

 

La mutualisation

Elle peut concerner des véhicules, des aires de livraison, des plates-formes, des moyens techniques, des données. Utiliser un même véhicule peut d’ailleurs s’imaginer de plusieurs façons.

On peut mobiliser un seul et même livreur pour toutes les livraisons à M. Paul ou au magasin Bis quels que soient les transporteurs « longue distance ». Dans cet objectif, la rue, le quartier serait alors livré par ce même livreur. Cette mutualisation réduirait significativement le nombre de livraison à une même adresse et donc le nombre de véhicules.

On peut aussi partager un véhicule à plusieurs conducteurs. C’est l’expérience qui devrait voir le jour en 2016 à Paris : des véhicules de livraison en partage au sein d’un même quartier pour le compte des commerçants (pour s’approvisionner à Rungis par exemple), pour le compte des petites entreprises (pour livrer leurs clients). L’objectif est ici de diminuer le nombre de véhicules (ceux du commerçant, de la petite entreprise) stationnés tout au long de la journée et d’augmenter le taux d’utilisation de ces véhicules sur une plage horaire plus grande. Couplé à l’utilisation de véhicules électriques, le bénéfice est double pour la ville, le citadin, et le livreur.

Mais la mutualisation peut également passer par celle de l’organisation des flux eux-mêmes en intégrant les retours (reprise des emballages vides, retour de produits…), par la mutualisation des espaces fonciers, voire par la mise en place de centrales de réservation de moyens, de demandes de livraisons.

 

Le foncier logistique

Sous la pression des coûts du foncier, d’un coût de transport faible, la logistique s’est éloignée des centres-ville, augmentant les kilomètres et les polluants et diminuant la productivité des opérateurs de transport comme de la ville elle-même.

Or, la logistique ne peut s’exercer sans plates-formes logistiques qu’elles soient de quelques centaines de m2 en centre-ville ou de quelques milliers en proximité immédiate du centre-ville.

La remise en disponibilité du foncier logistique en centre-ville constitue dès lors une variable stratégique.

 

L’accueil des véhicules de livraison

Les aires de livraison, les aires de stationnement de véhicules mutualisés constituent un équipement de logistique urbain. Souvent occupées par d’autres véhicules que ceux de livraisons, leur gestion doit évoluer. Des solutions sont possibles par le contrôle du stationnement, ou par le déploiement de bornes de recharge d’énergie qui spécialiseraient de facto les emplacements et limiteraient les intrusions de véhicules non autorisés.

 

Les clients

La dernière variable, c’est nous ! Savez-vous que la très grande majorité des petits trajets de marchandises ont lieu de 7h30 à 12h00 parce que nous souhaitons être livrés avant d’aller au travail, avant l’ouverture de la boutique… Si les changements d’habitudes évoquées ont modifié notre comportement face à la commande, nos habitudes ont du mal à évoluer sur l’acte « d’être livré ». L’acceptation de plus grandes plages pour être livré favoriserait la mutualisation des moyens, la disponibilité des ressources, voire la qualité de services.

 

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Les livraisons à domicile, les petits trajets de marchandises sont devenus un phénomène urbain au travers des évolutions de sociétés, de comportement : vieillissement de la population, baisse du taux de motorisation en centre-ville, augmentation du nombre d’achats impulsifs par rapport à l’achat corvée, importance donnée à la valeur temps gagné, accélération de la pénétration des technologies de l’information associées à la mobilité.

Dans ce contexte, avec notamment le développement des véhicules de marchandises électriques en centre-ville, l’émergence de nouvelles formes de livraison est un véritable gisement d’efficacité, de gains sanitaires et économiques, de création d’emplois et de valeur.




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