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Vers une mobilité décarbonée et autonome (Jacques Aschenbroich)

12 février 2017 ParisTech Book
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Dans un monde de plus en plus connecté et urbanisé, l’équilibre sera profondément modifié entre transport publics et transports individuels centrés autour de l’automobile. La digitalisation et la voiture autonome vont rendre l’utilisation de la voiture beaucoup plus flexible, les véhicules électriques vont le rendre plus propice à une utilisation en milieu urbain. Il n’est donc pas impossible que ce double phénomène de digitalisation et d’électrification réconcilient la voiture avec le milieu urbain.

Pour autant, quel que soit le mode de consommation de ces nouvelles formes de mobilité, l’attente du consommateur restera centrée autour d’une expérience de conduite améliorée pour lui-même, les passagers de son véhicule et les autres usagers de la route : qualité et sécurité du produit, conduite simplifiée – de plus en plus autonome et connectée –, qualité de l’air, contribution à la lutte contre le réchauffement climatique.

L’innovation en matière automobile doit répondre aux attentes en matière de qualité de vie des consommateurs/usagers. Elle se concentre aujourd’hui sur les technologies contribuant à la réduction des émissions de CO2 et vers une conduite plus intuitive, autonome et connectée.

 

La décarbonation de la mobilité

De manière générale, si les aspirations sociétales diffèrent fortement d’une région du monde à l’autre (prise de conscience du réchauffement climatique, nécessité de réduire la consommation de carburant, et/ou indépendance énergétique), les politiques publiques dans le secteur des transports, qui représente le quart des émissions mondiales de CO₂, se sont largement engagées dans des solutions économiques qui visent à abaisser leur empreinte carbone. Cette tendance est accompagnée par des normes en matière d’émissions toujours plus strictes et convergentes dans toutes les régions du monde (Japon, Europe, États-Unis, Chine et Inde).

Sous l’effet d’une réglementation favorisant l’émergence de véhicules plus propres, le secteur automobile est aujourd’hui un vecteur fort du changement de mode de consommation, plus sensibilisé globalement aux problématiques du changement climatique et du développement durable.

Alignée avec une recherche d’économie de coût, la demande de véhicules plus sobres se confirme comme une tendance globale dans les analyses de marché : les automobilistes recherchent aujourd’hui des voitures moins consommatrices d’énergie, tout aussi performantes en termes de motorisation, plus sûres, plus connectées, plus automatisées et dotées d’une interface de commande plus simple à utiliser. Dans ce contexte, des analyses récentes[1] font apparaître que l’hybridation, l’électrification, la connectivité et la digitalisation, sont les tendances clés jusqu’à 2025. Naturellement, ces demandes sont bien évidemment différenciées selon les marchés et les degrés d’urbanisation des différentes zones géographiques.

Ainsi, le déplacement de la production automobile mondiale de l’Occident vers l’Asie où sont produits aujourd’hui plus de 50 % des véhicules est également un fait majeur à prendre en compte dans toute réflexion autour de la mobilité, notamment au regard de la part des mégapoles et de la population mondiale aujourd’hui localisées dans les pays émergents. Avec 23,6 millions de véhicules légers produits en 2015 (soit 27 % de la production automobile mondiale), la production automobile en Chine, en hausse de 5% en 2015 et plus de 8 % en 2014, a plus que doublé depuis 2007.

Les autres pays émergents (Asie du Sud-Est, Inde, Amérique du Sud, Russie) conservent un fort potentiel de croissance à moyen terme, malgré l’enregistrement de performances mitigées ces deux dernières années. Le déplacement du poids de la production automobile en Asie et dans les pays émergents devrait se poursuivre au cours des années à venir au vu des perspectives de croissance économique et des faibles taux d’équipement des ménages de ces pays. La Chine pourrait ainsi représenter environ le tiers du marché automobile mondial en 2030. Ce déplacement devrait par conséquent renforcer le rôle des politiques publiques asiatiques, et notamment chinoises, dans les innovations automobiles au niveau mondial : on peut en effet imaginer aisément que le soutien de la Chine en faveur de véhicules hybrides et électriques, dans de grandes mégalopoles asiatiques jouent un rôle déterminant dans l’évolution de la mobilité mondiale.

Au vu des projections actuelles au niveau mondial toutefois, il apparaît que l’électrification des véhicules devrait être contrastée et progressive. En particulier, la pénétration des véhicules tout électrique devrait rester limitée dans les marchés automobiles matures et en Chine, malgré une attente de mobilité décarbonée de plus en plus fortement exprimée. Cette situation s’explique à la fois par l’acceptation progressive du changement par la majorité des consommateurs, mais également par un coût encore très élevé des technologies clés du véhicule électrique qui rendent un soutien généralisé par des politiques publiques impossible : à titre d’exemple, si l’on peut estimer qu’un véhicule électrique nécessite d’être subventionné à hauteur de 10 000 euros, le soutien de 10% du parc mondial annuel, soit 8 millions de voitures, représenterait un montant de 80 milliards annuellement !

Au total, il est aujourd’hui anticipé que le plus gros du volume automobile mondial en 2025 devrait être constitué de véhicules combinant différents niveaux d’hybridation et d’intégration de moteurs électriques de puissance de plus en plus grande autour ou à côté d’une propulsion thermique, avec un véhicule électrique « pur » très minoritaire et une propulsion thermique sans le moindre degré d’hybridation en décroissance.

Premier degré d’hybridation d’un véhicule thermique, les systèmes d’arrêt du moteur lorsque le véhicule s’immobilise (au feu rouge par exemple), dit « Stop-Start », offrent un gain de consommation pouvant atteindre de 5% à 15 % en conduite urbaine chargée. Valeo a été le premier équipementier à avoir proposé ce système, auprès de clients constructeurs qui désormais confirment de plus en plus largement son niveau de développement, qui se généralise et devrait se généraliser encore plus massivement dans les prochaines années,  au niveau mondial.

 

Des véhicules plus autonomes, intuitifs et connectés

En dehors de l’électrification des systèmes de propulsion, les principaux axes technologiques qui contribuent à la réduction de la consommation de carburant des véhicules concernent l’optimisation des fonctions thermiques du moteur mais aussi de l’habitacle, la baisse de la consommation énergétique des autres fonctions du véhicule, ou encore la réduction de la masse des composants.

Technologies complémentaires à la gestion du moteur, les systèmes auxiliaires contribuent également à la décarbonation du véhicule. Par exemple, les systèmes d’éclairage sont également un élément de la réduction des consommations énergétiques des véhicules. A cet égard, les projecteurs 100 % LED offrent aujourd’hui une meilleure qualité de vision nocturne et en conditions difficiles (brouillard, pluie, etc.). Technologie cinq fois plus efficace que les ampoules  halogènes (rapport entre l’efficacité de l’éclairage et la consommation de l’énergie), ces projecteurs LED offrent également aux constructeurs une large liberté en termes de design.

Ainsi, la décarbonation du véhicule apparaît comme la résultante de différentes briques technologiques et dont certaines peuvent être combinées en systèmes afin d’en améliorer la performance.

En parallèle, la progressive autonomie et connectivité des véhicules devrait constituer une tendance majeure dans le marché automobile et impacter en profondeur la mobilité liée aux véhicules.

Rupture technologique phare de ces dernières années et promis à un développement futur, les systèmes de conduite autonome permettent, par le biais d’un ensemble de technologies intelligentes, d’améliorer la sécurité et le confort de conduite (détection des obstacles et des autres véhicules, fonction de parking totalement automatique, représentation ergonomique d’une vue aérienne des alentours du véhicule, etc.). Cette mutation se traduit par l’intégration toujours plus vaste au véhicule de toute une gamme de systèmes de haute technologie incluant capteurs à ultrasons, radars, caméras, scanner laser et logiciels de fusion et de traitement de données multiformes.

Ces nouvelles technologies devraient également nécessiter une connectivité du véhicule avec son environnement renforcée, qui conduit au développement d’interfaces nouvelles entre le monde de l’automobile et les secteurs des télécommunications ou les grands acteurs de l’internet. La gestion massive de données provenant notamment des consommateurs finaux peut en effet rendre possible l’arrivée d’autres acteurs du digital comme fournisseurs de services de mobilité, voire spécificateurs de nouveaux types de véhicules. Cette disruption par le digital devrait conduire à l’apparition de nouvelles formes de mobilité. Il s’agit là à la fois de la transformation de services de transport collectifs ou privés à l’instar d’Uber, mais également de la création de plateformes d’échanges rendant possible l’autopartage comme BlaBlaCar ou la location entre particuliers de véhicules comme Drivy ou Koolicar. La digitalisation offre au marché automobile de nouvelles opportunités de création de valeur : ce qui était autrefois une pratique individuelle et linéaire se transforme aujourd’hui en une expérience interactive, collaborative et flexible.

À titre d’exemple, Valeo a développé un système d’accès et de démarrage permettant à un conducteur d’utiliser son smartphone pour verrouiller, déverrouiller et démarrer son véhicule et transférer ses données ainsi que la clé virtuelle grâce à une plateforme cloud hautement sécurisée. Cette solution peut avoir des effets d’optimisation de gestion de flottes de véhicules.

 

De nouveaux enjeux pour le consommateur

Le développement de ces innovations et leur intégration grandissante dans les véhicules soulèvent des interrogations de la part des consommateurs et usagers, principalement en matière de facilité d’usage, de confiance en la technologie, ou de confiance dans l’usage des données.

L’acceptation technologique par le consommateur est un élément fondamental de la demande des consommateurs vers davantage de connectivité et de facilité du déplacement individuel. La réflexion doit être centrée sur l’usage intuitif, le plaisir à la conduite et l’acceptation progressive de ces nouvelles technologies : c’est notamment le cas dans le parking automatique,  par les consommateurs en entrant dans le champ du véhicule autonome par les manœuvres difficiles à basse vitesse (créneau, parking, etc.). Cette approche intuitive nécessite la mise au point d’interfaces homme-machine simplifiés, en toute sécurité, notamment pour faciliter les transitions entre les modes de conduite autonomes et manuels.

Parallèlement à ces opportunités commerciales et technologiques, en matière de véhicule connecté, la propriété et l’usage des données collectées par les véhicules et les infrastructures interrogent les consommateurs sur leurs potentiels usages commerciaux ou d’atteinte à la vie privée : les données informatiques collectées doivent-elles appartenir au conducteur ou au propriétaire du véhicule, au constructeur automobile, ou aux entreprises de nouvelles technologies de communication et de l’internet ? Le rôle de la cybersécurité dans les véhicules connectés est à cet égard majeur. Ces évolutions des demandes des consommateurs sont à prendre en compte, et il appartient aux différentes parties prenantes de savoir trouver les solutions pour offrir sécurité et confiance.

 

Vers de nécessaires coopérations entre secteurs

À ces mutations sociétales et à leurs enjeux associés, s’ajoute un défi technologique et partenarial important pour le secteur automobile, puisqu’à l’inverse de ses cycles d’innovation précédents, une partie des évolutions à venir se trouve à l’intersection avec d’autres secteurs économiques (télécoms, services, assurance, etc.) et de la puissance publique. En particulier, il est nécessaire de passer d’une réflexion sur la propriété du véhicule à une réflexion sur les services de mobilité pouvant inclure des véhicules : ceci nécessite une adaptation des modes de pensée.

L’usage des véhicules autonomes et leur déploiement nécessitent également de revoir progressivement un ensemble de « business modèles », de cadres juridiques nationaux, régionaux et internationaux, qui concernent des champs beaucoup plus vastes que la simple question de la présence du conducteur dans le véhicule. En particulier, les champs de l’assurance, de la réglementation technique, sont très largement impactés par ces changements.

De même, une logique partenariale avec l’industrie des télécommunications demeure nécessaire pour l’industrie automobile. L’ensemble des chantiers à mettre en œuvre pour permettre un usage du véhicule autonome ne peut être supporté par un seul secteur : les problématiques de déploiement de la connectivité et de la couverture des réseaux, du renforcement de la sécurité fonctionnelle des véhicules et des réseaux ainsi que de la standardisation des interfaces sont à résoudre de manière partenariale.

Et bien entendu, la règlementation devra évoluer au même rythme que la technologie, de manière à ce que le véhicule autonome et connecté puisse se développer : ce sera le rôle de la puissance publique.

 

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Plus que jamais, l’industrie automobile se trouve face à une mutation de son rôle et de sa relation avec le consommateur, l’utilisateur final et la sphère sociétale, comme pourvoyeur de nouvelles solutions parfois disruptives, de mobilité individuelle et comme interface de nouvelles logiques partenariales.

L’innovation et la technologie demeurent le levier indispensable à ces mutations : plus que jamais, aux côtés de leurs clients constructeurs, mais également en présence de nouvelles firmes industrielles et de services, les équipementiers automobiles sont des acteurs incontournables de celle-ci.

 

[1]. KPMG’s Global Automotive Executive Survey, janvier 2016.




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