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L'énergie : une politique essentielle pour notre avenir (Jean-Pierre Schwartz)

12 février 2017 ParisTech Book
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Jean Pierre SCHWARTZ (P56)

Depuis 2006, membre actif de l’association «Sauvons le climat» pour une politique raisonnée de l’énergie réduisant les émissions de CO2.

De 1996 à 2006, ingénieur conseil, expert pour la sûreté des réacteurs nucléaires auprès du CEA.

De 1962 à 1996, ingénieur au CEA, physicien des réacteurs participant à la conception des réacteurs de recherche français, puis responsable des programmes de R&D en soutien du programme électronucléaire d’EDF et de Framatome ; à partir de 1993, directeur du cabinet du Haut Commissaire à l’Energie Atomique.

  

Une vision dans la durée

Une politique de l’énergie, cohérente et robus­te face aux évolutions du monde environnant, se bâtit nécessairement sur la longue durée malgré les incertitudes inhérentes au contexte mondial et au développement technologique. La recherche, la construction et l’exploitation de moyens de production d’énergie s’étendent en effet sur des dizaines d’années. Quant aux orientations possibles, plusieurs contraintes fondamentales en délimitent le champ :

  • la technique et l’économie déterminant le coût de l’énergie fournie à l’utilisateur ;
  • la sécurité d’approvisionnement, en particu­lier l’indépendance nationale vis-à-vis des sources d’approvisionnement en combus­tible ;
  • l’environnement et la santé publique.

 

 

 

Une volonté politique

La situation actuelle de la France résulte d’une volonté, forte et constante, manifestée par les gouvernements successifs du pays, depuis la fin de la guerre, dans les stratégies mises en œuvre, dans le consensus des principaux par­tis politiques.

 

Dans les années d’immédiat après-guerre, l’équipement hydro-électrique et les combustibles fossiles, charbon, gaz et pétrole, ont constitué les piliers de la production d’énergie. Par la suite, dans les années 1960, l’épuisement des ressources nationales en charbon puis, dans les années 1970, l’insécuri-té de l’approvisionnement et des prix associée au pétrole et au gaz, ont conduit au déploiement important de l’énergie nucléaire pour la produc­tion électrique. Enfin, depuis 2000, des préoccupations environnementales croissantes, notamment le réchauffement climatique lié à l’accumulation dans l’atmosphère de gaz à effet de serre, ont entraîné le recours aux énergies peu carbonées renouvelables dont l’éolien, le solaire et les biocarburants.

 

Cette volonté politique doit de plus dépasser le cadre national pour être portée au niveau de l’Union Européenne. Les décisions du Conseil euro­péen et les directives de la Commission font en effet partie des contraintes encadrant les possibilités de choix de chacun des pays membres.

 

 

 

Le bilan actuel

Aujourd’hui, la consommation annuelle d’énergie en France s’établit de la façon suivante :

Tableau 1 : Bilan de la consommation d’énergie finale en France en 2012 (Mtep)

 

Charbon

Pétrole

Gaz

Électricité

Renouvelables thermiques

TOTAL

Part du
total (%)

Industrie

4,9

5,1

9,8

10,1

2,2

32,1

20,8

Résidentiel et tertiaire

0,3

10,7

22

25,7

9,9

68,7

44,5

Agriculture

 

3,4

0,2

0,7

0,1

4,4

2,8

Transports

 

45,3

0,1

1,1

2,7

49,2

31,9

TOTAL

5,2

64,6

32,1

37,6

14,9

154,4

100

 

Pour les deux tiers notre consommation finale d’énergie repose sur les com­bustibles fossiles importés. L’électricité reste le principal vecteur permet­tant de réduire cette dépendance et de diminuer les émissions de gaz à effet de serre grâce à l’utilisation de l’énergie nucléaire et des énergies renouvelables.

Tableau 2 : Production d’électricité en France en 2012 (TWh)

 

Énergie
nucléaire

Énergies
renouvelables*

(dont hydraulique)

Thermique clas-
sique** (majorité
combustibles fossiles)

TOTAL

Production (brute)

425,4

82            (63)

53,8

562,8

Part de la production totale (%)

75,8

14,6           (11,2)

9,6

100

 

*Énergies renouvelables : hydraulique, éolien et photovoltaïque

**Thermique classique

Combustibles fossiles : charbon, fioul, gaz naturel,

Divers : gaz de haut fourneau et gaz de raffinerie, déchets urbains, résidus industriels, bois

 

 

Les coûts

L’électricité est produite actuellement à des coûts particulière­ment compétitifs par les centrales nucléaires et hydro-élec­triques, environ 40 € /MWh actuellement (40 à 59 €/MWh pour le nucléaire en 2014, d’après les rapports de la Cour des comptes, selon les modes d’évaluation de la part investissement).

En 2013, les prix hors taxes comparés de l’électricité étaient en €/MWh :

  • pour l’industrie : 77,1 en France, 96 en Allemagne, 94 moyenne de l’Union Européenne,
  • pour les particuliers : 100 en France, 149 en Allemagne, 137 moyenne de l’Union Européenne.

Par comparaison avec un prix moyen de marché de 50 €/MWh, les prévisions de coût pour les obligations d’achat de la pro­duction des énergies renouvelables intermittentes imposées à EDF correspondent, en 2014, à 82 €/MWh pour les éoliennes à terre, 130 €/MWh pour les éoliennes en mer à venir et, pour l’énergie solaire photovoltaïque, de 100 à 400 €/MWh (selon la puissance et le type d’installation) ; en fait il semble que le coût constaté lors des appels d’offre pour l’éo-lien marin soit de l’ordre de 200 €/MWh. En 2013, le surcoût global aura été de 3 Md€.

 

 

Les émissions de gaz carbonique

À 90%, l’électricité provient des énergies peu carbonées, nucléaire et renouvelable. Il en résulte un niveau d’émission de gaz carbonique par habitant et par an parmi les plus bas d’Europe, soit une masse de CO2 annuelle par individu en t/habitant/an (données 2011) : 5,04 en France, 9,14 en Allemagne, 7,04 moyenne de l’Union Européenne.

Des éléments de réflexion pour une future stratégie de l’énergie

L’avenir est déjà partiellement orienté par les engagements pris par la France dans le cadre européen, avec la règle des trois fois 20, ainsi que dans le cadre national par les lois et par les règlements qui ont fait suite au «Grenelle de l’environne-ment» ; l’objectif de réduction des émissions de gaz à effet de serre par rapport à 1990, d’un facteur 4 à l’horizon 2050, est ainsi inscrit dans la loi programme sur l’énergie. Globalement, la limitation des ressources naturelles et la pré­servation de l’environnement encadrent toute politique de l’énergie. Mais la définition concrète d’une stratégie compor­te encore des choix ; quelques observations permettent de nourrir les réflexions avant toute décision.

 

 

Les économies d’énergie

L’idée que ne pas consommer d’énergie constitue la meilleu­re façon de réduire sa facture semble de pur bon sens. Elle a pourtant ses limites. Si pour conserver la même, ou presque la même, qualité de vie avec une consommation réduite d’énergie, on est conduit à des investissements coûteux le bilan financier risque d’être lourdement négatif. Seule la comparaison du coût des mesures d’économie à la diminu­tion de la facture énergétique permet d’arbitrer et souvent de repousser les économies extrêmes pour des dispositions plus modestes mais plus abordables et généralisables donc plus efficaces. C’est le cas dans le bâtiment ; la rénovation progressive d’un bâtiment ancien par élément, fenêtres, 

chaudières, etc., serait rapidement récupérable sur la facture de chauffage alors qu’une restructuration de fond, très oné­reuse, trouverait plus difficilement son financement pour un bénéfice plus lointain.

Toute mesure considérée pour réduire la dépense énergétique doit faire l’objet d’une évaluation sur le plan économique mais éga­lement d’un bilan sur le plan des émissions de gaz carbonique.

 

 

L’environnement

Un large consensus s’est dégagé parmi les scientifiques pour considérer que les émissions anthropiques de gaz à effet de serre (le gaz carbonique principalement) contribuent au réchauffe­ment climatique qui est constaté et mesuré. Limiter cet accrois­sement des températures pour réduire les perturbations induites à venir devient une nécessité. Il en résulte l’impératif de maîtriser et de diminuer notamment les émissions de CO2. Le CO2 représente environ 80% des gaz à effet de serre dont 20 proviennent de la déforestation, des dégagements de la biomasse... et 60 de la combustion des combustibles fos­siles. Les transports en sont le plus important consommateur (tableau 1) ; pour réduire cette consommation toutes les pistes sont à considérer : économies, emploi de l’électricité, développement des biocarburants, transports en commun dont le coût élevé pourrait relever en partie de l’aménage-ment urbain ou du territoire. L’industrie peut encore sans doute réduire ses besoins en combustibles fossiles. Quant aux bâtiments, ils peuvent faire appel aux économies (par une isolation concernant les normes des bâtiments neufs et surtout des travaux pour les logements anciens), aux éner­gies renouvelables thermiques (bois, déchets, solaire, géo­thermie) bien adaptées au chauffage à la fois des espaces et de l’eau sanitaire ; la réglementation actuelle (RT2012) péna­lise le recours à l’électricité pour les constructions nouvelles en prenant en compte l’énergie primaire et non l’énergie finale sans limiter parallèlement les rejets de CO2 ; l’électricité permettrait avantageusement l’appoint de chauffage sur une durée limitée, l’usage de pompes à chaleur et même le chauffage principal s’il est justifié (notamment par une isola­tion suffisante).

 

 

Le scénario Négatep 2014 de l’association «Sauvons le climat» illustre
une politique énergétique réduisant d’un facteur 4 les émissions de
CO2 entre 1990 et 2050 par un recours accru à l’électricité décarbonée,
essentiellement d’origine nucléaire

Répartition des sources d’énergie finale par famille de consommation (Mtep)

 

Répartition de la production électrique

 

2012

2050 Négatep en TWh

2050 Négatep
Pi en GW

Nucléaire

426 TWh

700 TWh

102 GW

Hydraulique

63 TWh

70 TWh

22 GW93

Thermique fossiles

49 TWh

40 TWh

40 GW94

Déchets

5 TWh

11 TWh

3 GW

Éolien

14,9 TWh

70 TWh

25 GW

Photovoltaïque

4,1 TWh

17 TWh

15 GW

TOTAL

562 TWh

908 TWh95

207 GW

Productions électriques annuelles et puissances installées par origine

Le vecteur électricité devrait être développé partout où son usage s’avère économique et quand sa production peut être obtenue par des énergies peu carbonées.

 

 

Les coûts

Le coût des énergies fossiles est fortement dépendant du prix du combustible : pour le charbon, ce prix représente 40% du coût de l’électricité fournie, quant au gaz sa contri­bution au coût du courant produit s’élève à 70%. Importés en totalité, soumis à un fort accroissement de la demande par les pays émergents, le pétrole et le gaz surtout ont des prix qui ne peuvent être maîtrisés à moyen terme. On considère aujourd’hui que le coût moyen d’une énergie produite par un combustible fossile avec capture et séquestration (CSC) du CO2, une technologie encore en cours de développement industriel, devrait à moyen terme être contenu entre 60 à 100 €/MWh ; ce coût est à comparer à 50 €/MWh sans CSC.

L’énergie nucléaire comporte un coût d’investissement élevé et un coût de combustible faible, la part de l’uranium naturel est actuellement inférieure à 5% du coût total du MWh. Importé mais facilement stockable pour couvrir des besoins de plusieurs années, le prix de l’uranium naturel influe peu sur le coût final de l’énergie. Aujourd’hui, prenant en compte la rémunération du capital investi reconstituant le capital et la capacité de relance de l’investissement, l’évaluation du coût de la filière nucléaire incluant les provisions pour démantèle­ment et stockage des déchets vient d’être actualisée pour 2013 à 59,8 €/MWh. À moyen terme, rénovation et mise à niveau de la sûreté augmenteront ce coût de 10% environ.

Les énergies renouvelables, éoliennes sur terre et en mer ainsi que solaire photovoltaïque, s’accompagnent d’investissements en turbines à combustion à gaz pour pallier leur intermittence tant que le développement de moyens de stockage, économiques et efficaces, n’a pas abouti. Se substi­tuant à l’énergie nucléaire, ces productions renouvelables entraînent donc indirectement un accroissement des rejets de CO2. Elles entraînent de plus des investissements complé­mentaires pour adapter les réseaux assurant l’adéquation entre sites de production et lieux de consommation, inves­tissements substantiels si les puissances en jeu sont impor­tantes. Sans tenir compte de ces coûts complémentaires des réseaux et des installations de production de substitution, on a estimé des coûts à moyen terme : pour l’énergie éolienne, 65 €/MWh à terre et 85 €/MWh en mer (les résultats du récent appel d’offre suggèrent une augmentation notable de ce coût) ; pour l’énergie solaire, 100 à 300 €/MWh selon le type d’installation.

Les options stratégiques doivent être soigneusement évaluées, de façon cohérente, sur le plan économique pour en cerner les coûts complètement et clairement ; l’indépendance énergétique contribue à leur maîtrise ainsi qu’à celle de la balance commer­ciale. Des coûts élevés pénalisent les budgets de l’État et des par­ticuliers, détériorent la compétitivité des entreprises et handica­pent globalement la situation économique et sociale du pays.

 

 

La société

Outre les questions mentionnées concernant l’économie et le climat, des groupes ou des associations actives dans la population mettent en avant des préoccupations écolo­giques et sociales. Certains sujets donnent lieu à des débats passionnés auxquels il importe de répondre rationnellement sur le fond, c’est le cas en particulier pour les interrogations que suscite l’énergie nucléaire. Sur ce plan les organismes publics compétents apportent des réponses reconnues pour leur qualité et leur indépendance ; c’est le cas pour l’Autorité de Sûreté Nucléaire sur un plan administratif et réglementaire mais aussi scientifique, pour l’Académie des sciences, etc.

L’Académie nationale de médecine a ainsi organisé un col­loque sur les risques pour la santé des choix énergétiques. Elle en a publié la résolution finale dans un communiqué du 1er juillet 2003. Elle énonce cinq recommandations :

  • Veiller prioritairement à éviter les ruptures d’approvision-nement en énergie ;
  • Maintenir la filière nucléaire dans la mesure où elle s’avère avoir le plus faible impact sur la santé ;
  • Encourager un effort de recherche dans le domaine des mécanismes et de l’évaluation des effets sanitaires des faibles doses qu’il s’agisse de toxiques chimiques ou radioactifs ;
  • Poursuivre les efforts industriels et de recherche engagés avec succès depuis vingt ans pour réduire la pollution due aux transports et aux rejets industriels et domestiques ;
  • Être attentif aux menaces que fait courir à la santé, par l’ef-fet des changements climatiques, l’augmentation de la teneur atmosphérique en gaz à effet de serre.

D’autres sujets ont provoqué des controverses : les nuisances visuelles et sonores des éoliennes - l’occupation de l’espace, à terre ou en mer, par les installations de production des énergies renouvelables dispersées, éolienne et solaire - l’oc-cupation des surfaces agricoles pour les biocarburants venant en compétition avec les cultures alimentaires. D’autres tels que l’exploration des gaz de schiste ont suscité une opposition locale forte.

Un dialogue véritable, lorsqu’il est possible, devrait précéder toute décision.

 

 

Conclusion

Temps politique et temps industriel ne se déroulent pas au même rythme : un président de la République élu pour cinq ans, des investissements énergétiques décidés pour plus de cinquante ans. Une politique de l’énergie doit donc être construite sur des bases techniques et économiques solides et objectives, dans un esprit non partisan, après des débats dépassionnés ; ce sont là des conditions indispensables pour que les choix effectués contribuent à satisfaire efficacement les besoins et réduisent au mieux les risques liés aux incerti­tudes de l’avenir. ■




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