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Bâtiments à énergie positive : de l'utopie à la réalité (Pascal Gontier)

12 février 2017 ParisTech Book
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Pascal GONTIER

Diplômé de l’École d’Architecture de Versailles.

Master Européen en Architecture et Développement Durable (École Polytechnique Fédérale de Lausanne, Architecture et Climat Université de Louvain, Greco-Ecoles d’architecture de Toulouse et Montpellier, Architectural Association of architecture - Londres).

Création de l’Atelier Pascal Gontier SARL d’Architecture en 1997.

Responsable pédagogique du cycle de formation continue post diplôme «Architecture, Territoires et Développement Durable» à l’École d’Architecture de Lille de 2000 à 2004.

Enseignant titulaire à l’Ecole d’Architecture de Paris Malaquais depuis 2004.

Professeur à l’École d’Architecture de Nantes depuis 2015.

Membre du Conseil d’administration de l’AFEX (Architectes Français à l’Export), de l’ICEB (Institut pour la Conception Eco responsable du Bâti), du comité exécutif de la Fondation Terre de Sienne et d’Advancity.

 

 


Véritable graal écologique pendant les dernières décen­nies du XXe siècle, la maison autonome s’est peu à peu sécularisée pour devenir la maison à énergie positive, puis le bâtiment à énergie positive qui fait aujourd’hui l’objet de toutes les attentions et de tous les espoirs. La vision uto­pique d’origine et les formes architecturales futuristes qu’elle pouvait susciter ont laissé la place à une démarche plus prag­matique dont l’impact architectural est également, la plupart du temps, plus modeste. La maison individuelle isolée sur son territoire a peu à peu cédé la vedette à des ouvrages plus urbains et d’une taille plus importante. Dans un même mou­vement, la recherche d’autonomie en énergie et en eau a été abandonnée au profit d’une approche plus sociale, centrée sur les questions énergétiques, dans laquelle le bâtiment n’est plus considéré comme un simple consommateur qui subvient par sa propre production à ses besoins internes, mais également comme un véritable producteur qui a voca­tion à entretenir des relations d’échange avec un environne­ment urbain ou territorial plus large. Ce glissement du bâti­ment autonome au bâtiment à énergie positive a permis au bâtiment de se voir dispensé pour quelque temps de la nécessité de traiter la difficile question du stockage de l’électricité. Mais beaucoup de questions demeurent.

Alors que la marche vers l’extension à des bâtiments à éner­gie positive semble désormais ouverte, il n’est pas inutile de s’interroger sur la nature de ce nouveau modèle, qui est encore loin d’avoir atteint sa maturité, et sur la pertinence de ce mouvement de généralisation. Une certaine confusion règne en effet autour de la définition qu’il convient de don­ner à ce bâtiment à énergie positive dont on attend tant, même si tous semblent s’entendre sur le fait qu’il doit théori­quement s’agir d’un bâtiment qui – sur une durée annuelle – produit plus d’énergie qu’il n’en consomme.

 

 

De quelle consommation parle-t-on ?

Pour déterminer la quantité d’énergie à produire pour satis­faire à cette définition, il convient tout d’abord de déterminer quels sont les postes de consommations qui doivent être compensés par cette production. Sont-ce les consomma­tions du bâtiment proprement dit, c’est-à-dire le chauffage, l’eau chaude sanitaire, la ventilation, le rafraîchissement, l’éclairage et les auxiliaires ? Faut-il y intégrer les consomma­tions d’électricité dites « spécifiques », c’est-à-dire celles des appareils électrodomestiques qui dans le cas des bâtiments à très basse consommation forment plus de cinquante pour cent des consommations totales et n’ont pas tendance à baisser ? Celles-ci ne sont que faiblement dépendantes de la conception architecturale et technique des bâtiments.

Faut-il considérer les consommations durant l’ensemble de son cycle de vie et intégrer l’énergie grise, c’est-à-dire l’éner-gie liée à la fabrication du bâtiment, mais aussi d’une façon plus large l’énergie nécessaire à l’entretien, la maintenance, la déconstruction, et le recyclage ? Si on considère que l’éner-gie grise est à elle seule, équivalente à l’ensemble des consommations d’énergie d’un bâtiment de type passif, hors électricité spécifique, pendant cinquante ans, on peut mesu­rer l’importance de cette question. Il est clair que la réduction significative de ce poste de consommation passe par une mutation profonde de nos manières de construire.

Les tenants du bâtiment à énergie positive considèrent qu’il faut procéder par étape dans la prise en compte des diffé­rents postes de consommation et qu’à terme le bâtiment à énergie positive aura à compenser par sa production d’éner-gie l’ensemble de ces consommations et y ajouter celle du transport des usagers. Il est peu probable que le bâtiment soit, à lui seul, dans un avenir raisonnable, à même de répondre à toutes ces attentes.

En France, par exemple, le label Bepos Effinergie, qui permet de distinguer les bâtiments à énergie positive, prend simple­ment en compte les consommations propres au bâtiment ;

celles qui sont prises en compte dans la réglementation ther­mique. Cependant, des bâtiments peuvent néanmoins répondre à ce label, alors que leurs consommations sont supérieures à leurs productions, grâce à un mode de calcul qui offre une certaine souplesse et autorise, entre consom­mations et productions, des écarts, qui peuvent varier en fonction du programme, du site d’implantation et du nombre d’étages. Le label Bepos Effinergie caractérise donc

La première étape à franchir pour envisager la fabrica­tion de bâtiments à énergie positive consiste donc à réduire ses consommations. Des progrès spectaculaires en la matière ont déjà ont été faits en quelques décen­nies et d’autres progrès importants sont encore à venir. Ainsi, alors que les consommations de chauffage étaient, jusqu’aux années 2000 largement dominantes dans la consommation globale des logements, les évo­lutions apportées à l’isolation des bâtiments, aux per­formances des vitrages et aux systèmes de ventilation ont permis de les faire chuter à des niveaux qui étaient jadis inimaginables. Seuls les bâtiments anciens qui sont de ce fait souvent traités avec condescendance de «passoires thermiques», ont pour l’instant échappé à l’ampleur de ce mouvement.

Le modèle du bâtiment passif que l’on connaît aujour-d’hui est inspiré du standard allemand Passivhaus qui s’est imposé, il y a une vingtaine d’années, comme pion­nier dans ce domaine. Il a permis de faire chuter ces consommations de chauffage à un niveau tel que des bâtiments répondant à ces niveaux d’exigence peuvent se passer d’un système de chauffage conventionnel et même, dans un certain nombre de cas, de chauffage tout court, sans qu’aucun recours à de quelconques ruptures technologiques ne soit nécessaire. Les simples « bonnes pra­tiques » en matière de conception et de construction suffi­sent. Alors que le bâtiment solaire des années 70 avait besoin d’un accès privilégié au soleil et se caractérisait par une orientation solaire prononcée et par un contraste fort entre de grandes baies vitrées en façade sud et de petites meur­trières en façade nord, l’architecture passive actuelle est plus discrète, et se révèle plus par la qualité des matériaux mis en 

œuvre et par le soin apporté aux détails constructifs que par une gestuelle formelle particu­lière. Contrairement à une idée très généralement répandue, ce n’est pas non plus nécessai­rement un bâtiment excessive­ment compact, et ses fenêtres peuvent être généreuses, y compris en façade nord. En revanche, la réduction dras­tique des ponts thermiques qui est nécessaire pour atteindre ces performances rend obsolète l’écriture archi­tecturale d’une grande partie des bâtiments qui sont encore construits en France.

Aussi, même si pour des rai­sons qui tiennent autant au cadre réglementaire qu’à la structuration des filières de construction, le standard passif allemand n’a pas encore trouvé son équivalent ailleurs, on peut considérer que les perfor­mances thermiques qu’il pro­pose sont techniquement et économiquement générali­sables à l’ensemble de la pro­duction bâtie neuve, quel que soit le tissu urbain dans lequel il s’inscrit. Il est ainsi désormais possible d’affirmer que la question du chauffage, qui était jadis centrale, appartiendra bientôt au passé, du moins pour ce qui concerne la production des bâtiments neufs.

Ce saut technologique permet, à partir d’un modèle de bâti­ment de type passif, d’envisager la production de bâtiments à énergie positive dans des tissus urbains de faible et moyen­ne densité bénéficiant d’une exposition solaire favorable. Dans le cas des tissus urbains de forte densité, l’équation devient en revanche beaucoup difficile à résoudre. Il devient nécessaire de dépasser les objectifs de réduction drastique de chauffage et de traiter en profondeur l’ensemble des autres postes de consommation, et notamment la ventila­tion, le rafraichissement, l’éclairage et l’eau chaude sanitaire. Cela conduit naturellement à dépasser les simples bonnes pratiques ainsi que l’arsenal de dispositifs technologiques qui les accompagnent, et à réinterroger en profondeur l’architecture et la manière de la fabriquer.

Une question négligée : la ventilation

La question de la ventilation est à considérer en priorité. En effet, si dans le modèle allemand d’habitat passif, les consommations de chauffage sont extrêmement faibles, ce n’est pas le cas des consommations de ventilation qui, en énergie primaire, sont proches, voire supérieures aux consommations de chauffage. La ventilation double flux, qui constitue le poumon du bâtiment passif, permet en effet de récupérer et de valoriser les calories de l’air qui est extrait du bâtiment pour chauffer l’air qui entre dans le bâtiment, mais elle consomme pour cela une grande quantité d’électricité. Le label Passivhaus met d’ailleurs l’accent sur le chauffage, mais ne donne pas de limites pour les consommations de ventilation qui sont « noyées » dans un forfait comprenant l’ensemble des consommations y compris l’électricité spéci­fique.

Dans d’autres pays d’Europe, la ventilation double flux est parfois remplacée par une ventilation hygroréglable qui est beaucoup moins chère et beaucoup moins gourmande en électricité. Cette solution n’est pourtant pas pleinement satisfaisante car la réduction des déperditions thermiques dues à la ventilation passe alors par une réduction drastique des débits de ventilation. Cela conduit à un compromis très contestable entre consommation d’énergie et qualité de l’air intérieur.

La réponse à ce problème passe par le développement de dispositifs de ventilation alternatifs peu gourmands en éner­gie et fiables du point de vue du renouvellement de l’air. Différents types de ventilation naturelle et hybride sont sus­ceptibles de répondre à cette problématique. Certains d’entre eux permettent, à l’instar d’une ventilation méca­nique double flux, de récupérer les calories de l’air extrait. Ils sont encore aujourd’hui rares, expérimentaux et difficiles à mettre en œuvre, pour des raisons à la fois techniques et réglementaires. S’ils peuvent revêtir une apparence simple, voire low tech, ils nécessitent pour être mis au point un savoir-faire pointu en mécanique des fluides. Aidés par le développement de nouveaux outils de modélisations, ces dispositifs de ventilation émergeant constituent des pistes très prometteuses qui contribueront au renouvellement architectural dans les prochaines années.

Si la problématique du rafraîchissement est moins sensible dans le cas des bâtiments résidentiels que dans celui des bâtiments tertiaires, elle n’est cependant pas négligeable, notamment dans les régions chaudes de la planète, et risque de prendre encore de l’importance avec le réchauffement cli­matique. La réduction des consommations de climatisation demande la mise en œuvre de moyens constructifs et archi­tecturaux plus sophistiqués que ceux qui sont sollicités pour réduire la demande en chauffage. Si les solutions bioclima­tiques du passé peuvent nous apporter quelque enseigne­ment dans le domaine du rafraîchissement passif des bâti­ments, elles ne peuvent cependant être répétées telles quelles car elles n’ont pas été conçues pour répondre à nos mode de vie et à nos environnements : exigence d’éclairage naturel de qualité, apports de chaleur internes importants dus aux appareils électriques, environnement urbain bruyant, pollution atmosphérique...

En finir avec les bâtiments compacts ?

La question de la réduction des consommations d’éclairage est quant à elle sans doute moins technique mais tout aussi difficile à régler. Elle passe en effet non seulement par le développement de systèmes d’éclairage artificiels de plus en plus efficaces, mais également par le redéveloppement de l’éclairage naturel dans les bâtiments. La difficulté vient du fait que l’éclairage naturel a disparu d’un grand nombre des espaces au XXe siècle avec l’avènement de l’éclairage élec­trique, puis de la ventilation mécanique. Nous avons ainsi assisté à la disparition quasi systématique de l’éclairage natu­rel dans les cages d’escalier, les paliers, les entrées ou les salles de bain... Ce phénomène a encore été accentué ces dernières décennies avec l’obsession pour la thermique d’hi-ver et le mythe de la compacité auquel elle a donné naissan­ce. Aujourd’hui, le bâtiment compact est considéré comme tellement vertueux qu’il est presque devenu un standard. Il faut naturellement aller à l’encontre de cette tendance car, si une forte compacité permet de diminuer les déperditions thermiques en même temps que les coûts de construction, elle présente néanmoins l’inconvénient de conduire à rendre un grand nombre de locaux aveugles, et de limiter les possi­bilités de créer des logements multi-orientés.

Malheureusement, même dans les éco-quartiers les plus exemplaires, les plans et les documents d’urbanisme aux­quels les architectes doivent répondre imposent le plus sou­vent de construire des bâtiments épais. Cela vient d’une part du fait que les «gabarits enveloppe» dans lesquels les bâti

ments doivent s’inscrire sont la plupart du temps réalisés à partir d’études de faisabilité de bâtiments assez standard. L’habitude devient alors la règle et celle-ci laisse assez peu de place à l’innovation. Cela vient également de la volonté de contraindre la hauteur des bâtiments, tout en maximisant les surfaces habitables. Le bâtiment a aujourd’hui besoin d’une vraie cure d’amaigrissement mais pour cela il lui faut grandir un peu.

L’eau chaude sanitaire reste un poste de consommation important de consommation du bâtiment puisque qu’il dépasse aujourd’hui le poste chauffage. Avec les techniques actuelles, il peut être traité de façon relativement efficace à l’échelle du bâtiment, au moyen par exemple de panneaux solaires thermiques, ou de pompes à chaleur connectées sur les eaux grises (les eaux savonneuses issues des lavabos, douches et bains). Ces moyens techniques permettent de réduire de moitié les consommations d’énergie liées à la pro­duction d’eau chaude sanitaire et sont très largement répan­dus aujourd’hui. Pour dépasser ce seuil dans la diminution de ces consommations, il faut aller au-delà de l’échelle du bâti­ment, en créant par exemple à l’échelle d’un îlot, une cuve de stockage saisonnier d’eau chaude sanitaire mutualisé pour un ensemble de bâtiments, ou à une échelle plus large en fai­sant appel à de la géothermie profonde.

Quels que soient les postes de consommation qui sont pris en compte dans la définition du bâtiment à énergie positive, il semble que sa généralisation à l’ensemble du cadre bâti relève, dans un avenir proche, du vœu pieux. Le bâtiment ne peut pas supporter seul un tel poids en milieu urbain dense, s’il ne bénéficie pas de conditions favorables. Il apparaît ainsi clairement que la compensation des consommations d’énergie par une production équivalente ou supérieure dépasse l’échelle du bâtiment. La notion de villes ou de territoires à énergie positive est à ce titre intéressante à développer, dans le cadre d’une approche écosystémique plus globale. Le bâti­ment n’y est alors plus considéré comme une entité isolée, et crispée sur une recherche permanente d’économie d’énergie et de ressources, mais plutôt comme faisant partie d’une communauté au sein de laquelle des relations fortes d’échange et de mutualisation sont développées. Dans un tel écosystème urbain, les différences se nourrissent et s’enrichissent. ■




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