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L'accord de Paris : une perspective historique (Christian de Perthuis et Raphaël Trotignon)

12 février 2017 ParisTech Book
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La négociation climatique sous l’égide des Nations Unies a démarré en 1990 avec la publication du premier rapport d’évaluation du Groupement Intergouvernemental des Experts sur le Climat (GIEC), un quart de siècle avant la conférence de Paris tenue en décembre 2015. Durant cette période, la prise de conscience des risques climatiques s’est élargie. La connaissance scientifique du phénomène a beaucoup progressé. Elle s’est diffusée auprès des décideurs grâce aux cinq rapports d’évaluation du GIEC. Les premiers impacts du réchauffement ont pu être observés, confirmant, et au-delà, les prévisions des modèles climatiques.

Vingt-cinq ans de négociation climatique n’ont jusqu’à présent pas eu d’effet observable sur les trajectoires d’émission de gaz à effet de serre. Bien loin de s’infléchir, les émissions mondiales ont même accéléré entre 2000 et 2013, atteignant un rythme de croissance inédit depuis le premier choc pétrolier. Le succès diplomatique de Paris est-il susceptible de mettre fin à la « Course de lenteur » de la négociation, suivant l’expression d’Amy Dahan et Stephan Aykut (2014), ou au « Waiting game » suivant celle de Jean Tirole et Christian Gollier (2014) ?

S’il est ratifié par suffisamment de parties, l’accord de Paris peut amorcer un nouveau départ dans le cycle de la négociation multilatérale su le climat. Cet accord marque un double dépassement par rapport au monde « unijambiste » de Kyoto et aux facilités du « libre-service » introduites à Copenhague. Mais il ne fournit qu’un cadre, certes évolutif, destiné à favoriser l’action. Sa capacité à mordre effectivement dans les émissions dépendra de la façon dont on va désormais remplir ce cadre. C’est ici qu’intervient le rôle des instruments économiques et de la tarification du carbone. Questions épineuses que les diplomates ont soigneusement éludées, reportant à plus tard les questions qui fâchent. D’une certaine façon, la vraie négociation va maintenant démarrer.

 

Un démarrage sur les chapeaux de roue

Comme pour la couche d’ozone, ce sont les scientifiques qui ont alerté la société sur les risques du réchauffement de la planète via le GIEC, un réseau de scientifiques créé en 1988 sous la double tutelle de l’Organisation Météorologique Mondiale et du Programme des Nations-Unies pour l’Environnement. Sa mission : évaluer l’état des connaissances sur le climat et les communiquer à intervalles réguliers aux décideurs.

Sitôt le GIEC créé, les premières étapes de la négociation internationale s’enchainent comme sur des chapeaux de roue : premier rapport d’évaluation du GIEC en 1990 ; Convention Cadre des Nations unies sur les Changements Climatiques (CCNUCC) en 1992 ; Protocole de Kyoto en 1997.

Signée en 1992 par plus de 120 pays au sommet mondial de la Terre de Rio, la Convention Climat (CCNUCC) entre en vigueur en mars 1994. Elle a été ratifiée depuis par 196 parties, soit la quasi-totalité des pays du monde. La Convention Climat pose les fondements de la coopération internationale face au changement climatique.

Son organe suprême, la Conférence de parties (COP), réunit les représentants de tous les États ayant ratifié la Convention. Suivant le principe mutualiste des Nations-Unies, tous les pays, petits ou grands, ont une voix équivalente, avec la règle du consensus pour toute prise de décision. Avec 196 parties, on imagine la complexité du processus et les risques de blocage. La COP se réunit une fois par an, traditionnellement début décembre. La première COP s’est tenue à Berlin, en décembre 1995. Celle de Paris, réunie en décembre 2015, était donc la 21e du même nom.

La COP est dotée d’un secrétariat opérationnel qui met en application les décisions prises et assure la collecte et le contrôle des informations que chaque partie à la Convention Climat s’est engagée à fournir. Ce volet est d’une grande importance : la crédibilité de tout accord environnemental repose sur un système fiable et indépendant de Mesure, Reporting et Vérification (MRV) des sources de polluants et des engagements de chaque pays.

La Convention Climat ne fournit pas seulement un cadre multilatéral de discussion entre pays et une structure administrative de suivi. Elle avance trois principes qui doivent fonder la coopération internationale face au risque climatique.

 

Trois principes fondateurs

Le premier principe de la Convention Climat est la reconnaissance par le droit international de l’existence du réchauffement climatique et de son lien avec les émissions anthropiques de gaz à effet de serre. En ratifiant la Convention, un État reconnaît théoriquement ces phénomènes, documentés plus en détail dans les rapports d’évaluation transmis par le GIEC aux décideurs.

Le deuxième principe fixe à la communauté internationale l’objectif ultime d’agir face au réchauffement pour prévenir « toute perturbation anthropique dangereuse du système climatique ». La Convention de 1992 reste vague sur la traduction opérationnelle de cette cible de long terme. À partir de la conférence de Copenhague (2009), la cible est traduite par l’objectif de limiter le réchauffement climatique à 2°C relativement à l’ère préindustrielle. Objectif ambitieux, mais qui reste abstrait car aucun gouvernement du monde n’agit directement sur la température. Une grande partie des discussions de la COP-21 a porté sur le niveau de cet objectif et sa traduction en termes de trajectoires d’émission.

Troisième principe : la responsabilité « commune mais différenciée » face au changement climatique. En ratifiant la Convention, chaque État reconnaît porter une partie de la responsabilité collective. Responsabilité différenciée signifie que chacun n’a pas le même degré de responsabilité suivant son niveau de développement. La différenciation du degré de responsabilité est un critère d’équité aux fondements peu discutables. Tout l’art de la négociation climatique va consister à s’accorder sur sa traduction opérationnelle.

La Convention Climat classe les pays en deux groupes : les pays industrialisés et les pays en développement. Les premiers, à l’origine des trois quarts des émissions mondiales de gaz à effet de serre accumulés entre 1850 et 1990, portent une responsabilité historique prépondérante. Ils sont recensés dans l’Annexe I qui regroupe les pays développés ainsi que la Russie, l’Ukraine et les pays d’Europe de l’Est. Les autres pays, « hors Annexe I », n’ont pas la même responsabilité historique et la Convention leur reconnaît un droit prioritaire au développement. Cette représentation binaire du monde, déjà discutable en 1992, est en total déphasage avec la réalité du monde contemporain. Elle a pourtant été gravée dans le marbre par le protocole de Kyoto signé en 1997 au terme d’un marathon diplomatique entre les deux premiers émetteurs de l’époque : États-Unis et l’Union Européenne.

 

Protocole de Kyoto : l’accord unijambiste

Le protocole de Kyoto constitue le premier texte d’application de la Convention Climat. Il introduit une double innovation dans la vie internationale : au plan juridique, des engagements contraignants sur les émissions de gaz à effet de serre ; et au plan économique, un système d’échange de permis entre pays, couplé à deux mécanismes de projet.

Le caractère juridiquement contraignant (legally binding) des engagements portant sur les émissions fut considéré à l’époque comme une rupture majeure. Le débat sur la qualification juridique de l’accord fit rage lors de la conférence de Copenhague où devait naître un successeur à Kyoto. En réalité, le caractère contraignant d’un traité international est des plus relatifs. On sort d’un accord comme celui de Kyoto par l’envoi d’un simple courrier au secrétariat de la Convention qui vous libère de vos obligations au bout d’un an. Le Canada l’a expérimenté en 2011. En revanche, la forme juridique du protocole de Kyoto a rendu impossible sa ratification par les États-Unis du fait de l’hostilité du Sénat américain.

Les engagements « contraignants » pris à Kyoto concernent les pays de l’Annexe I de la Convention (avant le retrait des États-Unis et hors Turquie). Ils couvrent les émissions de six gaz à effet de serre d’origine anthropique. Ils s’appliquent aux sources d’émissions (hors transports internationaux) situées sur le territoire des pays concernés, soumis à des obligations très strictes de MRV. Ces pays sont autorisés à porter à leur crédit le stockage du carbone par les forêts et, sous certaines conditions, par les sols agricoles. En moyenne, ces pays doivent ramener leurs émissions de la période 2008-2012 à 5,3 % en dessous de 1990.

La seconde innovation de Kyoto est de coupler ces plafonds d’émission à un système international d’échange de permis et subséquemment de faire apparaître un prix international du carbone. Un système séduisant sur le papier, mais qui n’a guère eu d’impact sur la réalité du fait du retrait des États-Unis et de l’octroi excessif de droits à la Russie.

En application du principe de différenciation de la responsabilité, les pays en développement (hors Annexe I) sont exonérés de tout engagement de réduction d’émission et même de pratiquement toute obligation de reporting à l’égard de la Convention Climat. Ils peuvent en revanche bénéficier du Mécanisme pour un Développement Propre (MDP) qui permet aux pays riches de créditer des réductions d’émission obtenues par des projets conduits dans les pays échappant à la contrainte.

Le MDP a permis de générer de l’ordre de 350 milliards de dollars d’investissement dans les pays hors Annexe I. Le bilan des réductions d’émission opérées dans ces pays est délicat à établir. Durant la période, les émissions ont accéléré en Chine, qui a émis près de 60 % des crédits, de même qu’en Corée et en Inde, autres grands utilisateurs du mécanisme. L’objectif d’utiliser le MDP pour drainer de l’investissement vers les pays moins avancés est resté expérimental.

Avec le recul, il est clair que le protocole de Kyoto n’a pas délivré les résultats attendus. Sa faiblesse intrinsèque, accentuée par le retrait des États-Unis, tient à son caractère unijambiste. En faisant reposer sur les seuls pays développés l’intégralité des obligations, il laisse le champ libre à l’accroissement des émissions dans le reste du monde. Il incite même les pays émergents à les accroître à court terme pour renforcer leur posture de négociation à moyen terme. Les promoteurs du protocole de Kyoto imaginaient gommer cette faiblesse en intégrant progressivement les autres pays dans la structure de Kyoto.

 

Au « libre-service » de Copenhague

Réunie pour fixer les règles de « l’après Kyoto », la conférence de Copenhague (2009) constitue un revers diplomatique pour l’Union Européenne dont l’ambition était d’élargir le dispositif de Kyoto à d’autres pays.

Cet échec parfois attribué à une « organisation défaillante » de la conférence renvoie à une question de fond. L’architecture de Kyoto repose sur la logique dite du « grand-père », consistant à répartir les droits d’émission sur des bases historiques. Sitôt qu’on associe une valeur à ces droits via la tarification du carbone, on attribue une rente économique élevée aux pollueurs historiques : États-Unis, Europe, Russie… Il devient dès lors impossible d’élargir les engagements aux nouveaux émetteurs, sauf à changer la règle de distribution des droits, ce que l’Europe n’a jamais sérieusement considéré. Un « super-Kyoto » basé sur une répartition égalitaire des droits par habitant serait plébiscité par l’Inde, l’Afrique et l’ensemble des pays en développement. Ce sont les pays riches qui sont opposés à une telle architecture qui leur coûterait très cher !

Pour trouver une porte de sortie honorable, la conférence accouche d’un document de trois pages, « l’Accord de Copenhague », rapidement mis au point lors de consultations entre les représentants des grands pays émergents, Chine, Inde, Afrique du Sud, Brésil, et ceux des États-Unis. L’Europe et le Japon se rallient à ce texte rédigé sans eux, de même qu’une majorité des pays en développement, attirés par les promesses de financements. La Conférence des parties « prend note » de l’accord de Copenhague, ce qui signifie en langage diplomatique qu’elle ne l’adopte pas, faute de consensus : seules 119 parties sur 196 ont apporté leur soutien au texte. Les principales dispositions de Copenhague seront cependant réintroduites dans le cadre de la Convention Climat lors de la conférence de Cancún (2010).

Outre la référence aux +2°C comme cible de long terme, Copenhague introduit un mode de fixation décentralisé des objectifs dans lequel chaque pays détermine sa contribution à l’effort commun. Les pays émergents, notamment la Chine, le Brésil et l’Inde, affichent des objectifs (modestes) de réduction de leurs propres émissions. C’est une première entorse à l’interprétation binaire du principe de différenciation de la responsabilité. La deuxième jambe qui faisait tant défaut au protocole de Kyoto ?

L’avancée reste largement déclarative en l’absence d’accord sur un dispositif commun de MRV. Comme au libre-service, chaque pays peut composer à la carte sa contribution. Les objectifs de réduction d’émission peuvent porter sur des périmètres différents, des années de référence qui ne correspondent pas, des inventaires d’émission établis de façon disparate. Concilier le mode décentralisé de coopération climatique avec un système rigoureux et indépendant de MRV devient l’un des nœuds de la négociation.

L’autre grand volet porte sur les instruments économiques et financiers. En contrepartie de leurs engagements sur les émissions, les grands pays émergents obtiennent de la part des pays développés la promesse de transférer 100 milliards de dollars par an à partir de 2020 vers les pays en développement. Objectifs : y faciliter la mise en œuvre de stratégies de réduction d’émission et d’adaptation aux impacts du changement climatique. Une structure ad hoc, le Fonds Vert pour le Climat, est créée sous l’égide de la Convention Climat dont le mode de gouvernance fera l’objet de longues tractations.

 

Paris : un beau succès diplomatique… 

Deux ans après Copenhague, la conférence de Durban (2011) fixe un calendrier pour trouver la synthèse entre la formule unijambiste de Kyoto et celle du libre-service de Copenhague. Quatre ans sont donnés aux négociateurs pour parvenir fin 2015 à un accord universel devant entrer en vigueur en 2020.

Mission accomplie le 12 décembre 2015, avec l’adoption en séance plénière des 29 articles de « l’Accord de Paris » et d’une décision qui précise ses conditions d’entrée en vigueur. L’accord s’inscrit dans la démarche ascendante inaugurée à Copenhague. Il abandonne toute velléité d’objectifs contraignants raccordés à des instruments économiques, mais crée un nouveau cadre d’application de la Convention Climat s’écartant du monde binaire figé à Kyoto au nom de la différenciation de la responsabilité.

À la demande des États insulaires les plus menacés par le réchauffement, la cible de long terme est renforcée pour se situer entre +2°C et +1,5°C, la borne inférieure devant être documentée par un rapport spécial du GIEC. L’accord ne comporte pas d’objectif chiffré en termes d’émissions, mais vise à dépasser « le plus tôt possible » le pic mondial pour ensuite refluer rapidement et atteindre au cours de la seconde partie du siècle la neutralité carbone avec des émissions brutes résiduelles compensées par les capacités d’absorption du CO2 par des puits naturels ou artificiels. Cette trajectoire est inspirée des travaux du 5ème rapport d’évaluation du GIEC (octobre 2014), en omettant toutefois les objectifs intermédiaires de 2050, retirés à la demande de pays pétroliers.

La trajectoire globale n’est pas déclinée entre pays ou groupes de pays dans le texte de l’accord qui renvoie aux « contributions déterminées au niveau national » (NDC pour Nationally Determined Contributions). La grande majorité des pays ont transmis au secrétariat de la Convention un premier jeu de contributions intentionnelles avant le démarrage de la conférence. D’après le secrétariat de la Convention, la mise en œuvre intégrale de ces contributions intentionnelles conduirait à des émissions mondiales de l’ordre de 55 milliards de tonnes de CO2eq en 2030, soit 10 % au-dessus du niveau actuel et bien au-delà des 40 milliards requis pour limiter les risques d’un réchauffement de plus de 2°C.

Ces 55 milliards doivent être considérés comme la baseline à laquelle conduirait la mise en œuvre des politiques annoncées. L’accord de Paris est structuré pour que cette baseline issue des communications des pays soit établie avec une rigueur croissante et se rapproche d’une trajectoire compatible avec les cibles de long terme.

Le premier levier pour y parvenir est le renforcement de la MRV qui doit s’appliquer graduellement à toutes les parties, avec une flexibilité particulière pour les petits États insulaires et les pays moins avancés auxquels l’accord de Paris reconnait un statut particulier. Le renforcement de la MRV se traduit par des obligations diverses en matière de reporting, s’appliquant graduellement à tous les pays. En matière de NDC, toutes les parties doivent remettre au secrétariat un jeu actualisé de contributions à partir de 2018. L’accord prévoit ensuite un processus de révision quinquennale sur la base d’un bilan global préalable, le premier étant programmé en 2025, avec un effet de cliquet interdisant toute révision à la baisse des objectifs visés.

Le second levier concerne le volet financier pour lequel l’accord de Paris se contente de formules trop générales pour être engageantes. Les pays développés doivent tenir puis accroître les engagements déjà pris. Les pays émergents sont implicitement appelés à fournir des moyens complémentaires, ce que la Chine, acteur central dans la négociation, s’est empressé d’annoncer. Les 100 milliards de dollars promis à Copenhague sont considérés comme un plancher à dépasser. Outre les besoins d’adaptation et d’atténuation des pays moins avancés et insulaires, une partie des financements devra faciliter les transferts de technologie. L’accord écarte en revanche toute compensation financière au titre des « pertes et préjudices » dus aux changements climatiques.

L’article 6 promeut enfin, sur la base du volontariat, des actions de coopération entre parties qui souhaiteraient accroître l’ambition de leurs actions climatiques. Ces coopérations peuvent concerner des domaines techniques ou réglementaires ou des instruments économiques comme l’échange de crédits au titre de réductions d’émission. Cette partie de l’accord ouvre la voie, sans le dire explicitement, à un grand nombre de formules possibles en matière d’élargissement de la tarification du carbone entre pays.

 

… mais une corbeille qui reste à remplir

Vingt-cinq ans après le démarrage de la négociation, l’accord de Paris crée un cadre cohérent pour la mise en application de la Convention Climat. Un contraste saisissant avec les deux petites années qui avaient suffi à organiser le cadre de la riposte face à la destruction de la couche d’ozone ! Le succès diplomatique de Paris peut-t-il mettre fin à la course de lenteur de la négociation sur le climat ? Tout dépend de ce que vont maintenant entreprendre les différents acteurs du jeu. L’accord est une belle corbeille, soigneusement tressée par les négociateurs pour ne froisser personne. Reste à la remplir !

La première condition pour remplir la corbeille, est de franchir l’étape de la ratification de l’accord par les gouvernements, processus ouvert au siège des Nations-Unies le 22 avril 2016. Pour entrer en application, l’accord doit être signé par au moins 55 parties représentant ensemble au minimum 55 % des émissions mondiales. Cette règle est inspirée du protocole de Kyoto dont la ratification avait pris sept ans. Elle pourrait être moins contraignante car la forme juridique et le texte de l’accord de Paris ont été calibrés pour permettre une ratification par simple décret présidentiel aux États-Unis.

Il subsiste néanmoins un certain risque lié au contexte politique des grands pays émetteurs. Avec le fort ralentissement de la croissance, la préoccupation climatique pourrait reculer chez les responsables chinois. Les États-Unis sont dominés par un Congrès hostile comme le sont les candidats républicains au prochain scrutin présidentiel. Affaiblie par son immobilisme interne, l’Europe n’a plus grand poids en matière de diplomatie climatique. Lors de la conférence, l’Inde a quitté ses habits d’opposant historique, mais elle exigera des contreparties à sa signature. Le Japon pratique le rétropédalage. Peu de choses à attendre également du côté de la Russie et des pays pétroliers qui n’ont soutenu que du bout des lèvres un document qu’ils ont préalablement expurgé de toute formulation potentiellement contraignante.

Une fois ratifié, le remplissage de la corbeille va consister à intégrer d’ici 2020 les contributions nationales des différents pays, sur la base des intentions qui ont été déposées à l’amont de la conférence. Un processus de « dialogue » entre les parties doit permettre d’améliorer ces contributions en 2018 et 2019. Dans l’esprit des promoteurs de l’accord, la confiance réciproque et le cadre multilatéral doivent permettre d’échapper à la course au moins disant, classique dans ce genre de situation. En pratique, un rehaussement de ces contributions d’ici 2020 est improbable. Il existe même un risque de dégradation de l’ambition, car nombre de pays en développement ont subordonné leurs contributions intentionnelles à l’existence de soutiens financiers fournis par les pays riches. Or, le succès diplomatique de Paris n’a guère apporté de visibilité en la matière.

Une fois sur les rails, l’accord de Paris prévoit un processus global de révision des contributions nationales tous les cinq ans, réalisé à partir d’un bilan mondial. Ce processus vise à inciter chaque partie à rehausser son ambition, dans un processus de concurrence devenue vertueuse où le moins disant serait sanctionné par la perte de réputation et le plus disant par une avancée plus rapide que ses concurrents sur la voie de la transformation de son économie vers un régime sobre en carbone. Le premier processus doit être lancé en 2025 sur la base d’un bilan établi en 2023.

Le nouveau cadre de Paris peut-il spontanément créer les conditions d’une concurrence devenue vertueuse en matière de politiques climatiques ?

À bien des égards, les opportunités sont inédites. Grâce aux progrès techniques et aux expérimentations locales, des solutions alternatives aux énergies fossiles se multiplient. De nouvelles filières économiques s’organisent et vont contrebalancer le poids des lobbies historiques. Des alliances se dessinent entre acteurs économiques et territoriaux qui souhaitent aller plus rapidement que les gouvernements. Autre élément important : la prise de conscience des bénéfices sanitaires quasi-immédiats associés à une accélération des politiques climatiques, notamment au recul du charbon. Il y a là un facteur clef d’adhésion des populations dans les pays émergents d’Asie. Nombre de pays moins avancés prennent conscience du potentiel des systèmes énergétiques décentralisés pour améliorer rapidement et au moindre coût l’accès de tous à l’énergie.

L’accord sous-estime cependant les règles de fonctionnement de l’économie globalisée où les décisions se prennent en fonction des valeurs indiquées par les prix. Or ces prix n’intègrent encore que marginalement le coût des dommages climatiques associés aux émissions de gaz à effet de serre, ce que les économistes appellent le prix du carbone. Avec ces règles du jeu, des investissements considérables ont accru la quantité globale de charbon de pétrole et de gaz naturel qu’il sera techniquement possible et économiquement rentable de puiser dans le sous-sol dans les décennies à venir. Pour inverser ces tendances lourdes, il est urgent d’intégrer la valeur du climat dans l’échelle des prix qui guide les décisions économiques en tarifant le carbone. Il reste donc encore un ingrédient majeur à déposer dans la corbeille de Paris pour passer à un régime de concurrence où le plus disant en matière climatique deviendra le vrai gagnant : le prix du carbone !

 

Bibliographie

Christian Gollier, Jean Tirole, “Negotiating effective institutions against climate change”, Economics of Energy and Environmental Policy, 2015-4.

Christian de Perthuis, Pierre-André Jouvet, Green Capital: A New Perspective on Growth, Columbia University Press, 2015.

Christian de Perthuis, Raphaël Trotignon, Le Climat à quel prix ? La négociation climatique, Odile Jacob, 2015.

William Nordhaus, The Climate Casino: Risk, Uncertainty and Economics for a Warming World, Yale University Press, 2013.

Stefan Aykut, Amy Dayan, Gouverner le climat ? Vingt ans de négociations internationales, Presses de Science Po, 2014.




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