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La politique allemande de l'énergie dans son contexte européen (Pierre Audigier)

12 février 2017 ParisTech Book
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Pourquoi s’intéresser à la politique énergétique allemande ? En septembre 2011, à l’occasion de l’Université d’été du PS, le candidat Hollande expliquait ainsi sa proposition – entérinée depuis par la petite Loi sur la Transition Energétique (LTE) – de faire passer le pourcentage du nucléaire dans le mix énergétique français de 75 à 50% : « les Allemands vont se priver en 11 ans de 20 GW de nucléaire ; il n’y a pas de raison que nous n’arrivions pas à faire de même entre 2012 et 2025 ».

Les Allemands poursuivent donc une politique, amorcée au début des années 2000, de désengagement du nucléaire; ils font également figure de pionniers en matière d’énergies renouvelables, tout particulièrement d’énergies renouvelables intermittentes, telles l’éolien et le solaire. C’est l’Énergiewende. Un regard sur la politique allemande est d’autant plus d’actualité que le développement des énergies renouvelables est l’un des objectifs de la LTE.

Dans cet article, nous privilégierons donc l’électricité et les conséquences de l’insertion des énergies renouvelables dans le réseau électrique. Après un rapide historique de la politique allemande, nous ferons un détour par la politique de l’Union européenne avant de rappeler la problématique de l’insertion des énergies renouvelables dans les réseaux. Ce qui permet ensuite de revenir à l’Énergiewende. On notera ici que le sujet n’a pratiquement pas été étudié lors des débats préparatoires à la LTE.

Une comparaison poste par poste des coûts des systèmes électriques français et allemand serait certes souhaitable mais il n’est pas sûr qu’elle soit possible du fait des grandes disparités entre ces deux systèmes (par exemple : très centralisé en France, très décentralisé en Allemagne). De plus, la structure des parcs est tellement différente de part et d’autre du Rhin qu’il est peu probable qu’une stratégie optimale d’intégration des énergies renouvelables soit la même en France et en Allemagne.

Cela dit, les chiffres globaux parlent d’eux-mêmes ; ils fournissent un ordre de grandeur : c’est ce que nous montrerons.

 

L’abandon du nucléaire et la promotion des énergies renouvelables

Commençons par un rappel historique.

1991 : le gouvernement allemand adopte une première loi dont l’objectif est le de permettre le développement des renouvelables. C’est la Stromeinspeisunggesetz ; celle-ci tient en deux pages et comprend six articles.

1998 : la coalition qui rassemble les Verts et le SPD de Gerhardt Schröder adopte la loi sur Le financement des renouvelables. C’est la loi EEG (Erneuerbare Énergien Gesetz) par laquelle les producteurs d’énergies renouvelables bénéficient d’un prix garanti pour vingt ans (Vergütungspreis).

L’EEG-Umlage représente le surcoût généré par l’achat de ces énergies renouvelables par rapport au prix du marché ; il dépend donc notamment de l’évolution de ce prix de marché. Ce système est voisin, mutatis mutandis, de celui adopté en France ; une des principales différences tient à ce qu’il est géré, non pas par les électriciens (en France par EDF) mais par les quatre gestionnaires de réseaux. Les renouvelables électriques ont par ailleurs priorité d’accès au réseau (comme dans les autres pays membre).

Les opérateurs d’énergie renouvelable peuvent vendre directement sur le marché ; ils reçoivent, en sus du prix du marché, une prime (premium) ; c’est le Direktvermarktung).

  1. La coalition adopte la loi de sortie du nucléaire (Atomausstieg AtG1). Cette loi prévoit un abandon progressif du nucléaire. Chaque réacteur se voit attribuer un quota à produire avant arrêt définitif. Au total les réacteurs existant avaient reçu l’autorisation de produire 2.623 TWh supplémentaire à compter du 1er janvier 2000. Ainsi, le dernier kWh d’origine nucléaire devait être produit en 2022.

2009 : Angela Merkel arrive aux affaires à la tête d’une coalition CDU/CSU/FDP ; elle passe pour plutôt favorable au nucléaire. C’est elle qui, en octobre 2004 et alors dans l’opposition, avait déclaré : « à la longue, il y aura tellement de bénéficiaires de la politique en faveur de l’énergie éolienne que vous ne trouverez pas de majorité pour y mettre un frein ».

Elle promet de revoir la loi de sortie du nucléaire et ce sera, en 2010, la loi AtG2 qui accorde aux réacteurs existants 1804 TWh supplémentaires, soit un allongement de 12 ans en moyenne et l’année 2035 comme celle de la production du dernier kWh nucléaire. Cette loi s’avérera extrêmement impopulaire.

2011 : le 14 mars, soit trois jours après Fukushima et après d’importantes manifestations de rue, la Chancelière annonce l’arrêt immédiat des huit réacteurs les plus anciens. Le ministre de l’Environnement, Peter Altmaier, annonce que les neuf autres seront fermés d’ici 2022. Ces dispositions seront entérinées dans la loi AtG3. Cette loi ne prévoit aucune compensation pour les pertes de recette liées à l’arrêt immédiat des huit réacteurs et aux nouvelles dates butoirs fixées pour les neuf restants.

Dès l’été 2011, est adopté un paquet de lois (le Gesetzpaket) en ce sens. Des objectifs très ambitieux sont définis pour 2050. Outre la fermeture immédiate des huit centrales les plus anciennes (8,4 GW) et celle des neuf autres (12 GW) d’ici 2022, les principaux objectifs 2050 sont ainsi formulés :

Part des énergies renouvelables dans la production d’énergie primaire : 60%.

Diminution de la consommation d’énergie primaire de 50%, par rapport à 2008, soit une augmentation de la productivité énergétique de 2,1% par an.

Diminution des émissions de gaz à effet de serre de 80 à 95% par rapport à 1990.

Et, pour l’électricité :

Part des énergies renouvelables dans la production d’électricité : 80%.

Diminution de la consommation d’électricité de 25% par rapport à 2008.

Novembre 2013. La nouvelle coalition CDU-SPD contrôle les 2/3 des sièges au Bundestag. Elle amende les modalités du tournant énergétique. Le gouvernement se propose de mieux contrôler le coût du système (cf. infra) mais le développement des énergies renouvelables ne devrait pas s’en trouver substantiellement freiné. Une nouvelle loi est mise en chantier : elle sera publiée le 1er août 2014.

1er août 2014. Publication de la nouvelle loi : l’EEG 2.0. Ses objectifs : 40 à 45% d’énergies renouvelables dans la consommation d’électricité en 2025, 55 à 60% d’énergies renouvelables dans la consommation d’électricité en 2035, au moins 80% d’énergies renouvelables dans la consommation d’électricité en 2050, au moins 18% d’énergies renouvelables dans la consommation d’énergie en 2020

Sa complexité se résume à deux chiffres : 105 articles et 55 pages ; c’est par ailleurs tout un nouveau vocabulaire qui est introduit. On y reviendra plus loin.

Ce tournant repose sur un double pari.

Un pari sur l’arrivée à maturité de technologies encore aujourd’hui au stade du laboratoire ou de l’atelier pilote. Parmi celles-ci la capture et le stockage géologique du CO2 (CSC) et le stockage de l’électricité[1] à grande échelle et à un coût raisonnable. Pour l’instant, il paraît peu probable que ces deux technologies soient prêtes pour 2030 malgré un important programme de recherche, notamment sur l’économie de l’hydrogène. Au-delà, never say never !

Un pari sur l’acceptabilité par les populations des nouvelles installations – notamment pour le stockage de gaz carbonique et la construction de lignes de transport THT nécessaires pour l’acheminement vers les zones de grande consommation (principalement le sud) du courant produit par les éoliennes en majorité installées dans le nord. Sur les quatre couloirs de lignes THT programmés, l’un a déjà été abandonné du fait des oppositions et deux autres font débat en Bavière.

Deux paris auxquels on peut en rajouter un troisième : que les pays voisins se gardent bien d’adopter une politique à l’allemande car l’Énergiewende nécessite une contribution importante des systèmes électriques voisins à la stabilité du système allemand. 

 

La politique de l’Union Européenne

Un détour par la politique européenne est maintenant nécessaire car la politique allemande s’inscrit dans le droit fil de la politique européenne et réciproquement.

La compétence de l’Union. L’Union européenne n’a pas de compétence explicite en matière de politique énergétique. Chaque pays membre reste maître de son mix énergétique (article 194 du traité).

Mais le droit de la concurrence échappe aux États ; il est de la compétence exclusive de la Commission, sous le seul contrôle de la Cour de Justice européenne. C’est là un des rares domaines d’activité où il en va ainsi. C’est au nom du respect de la concurrence que la Commission contrôle les aides d’État. Ce à quoi il faut ajouter que la Commission a le monopole d’initiative au Conseil.

Une dérogation a été accordée aux énergies renouvelables au motif qu’il s’agissait là d’une industrie naissante et qu’il était opportun d’aider cette industrie à accéder à la maturité.

Philip Lowe, alors qu’il était directeur général de l’Énergie à la Commission, reconnaissait (cf. Annales des Mines de janvier 2013) que le contexte avait changé : « À une époque où les renouvelables avaient besoin d’un coup de pouce, il s’est avéré nécessaire d’accorder à l’électricité renouvelable le privilège de ne pas couvrir les coûts qu’elle engendrait pour le système électrique. Ce n’est plus admissible aujourd’hui ». Le Directeur général introduisait dans le vocabulaire de la Commission la notion de coût de l’intermittence pour le système, une notion qui va très au delà de celle de parité réseau – un mot qui suscite bien des malentendus dans la mesure où un kWh disponible de façon aléatoire n’a pas la même valeur d’usage qu’un kWh garanti et qu’il n’y a pas lieu d’associer les coûts des réseaux uniquement à la production pilotable.

Bref historique de la libéralisation des marchés de l’énergie. La libéralisation des marchés de l’énergie a fait l’objet de plusieurs séries de directives et de règlements successifs, regroupés en « paquets législatifs ». Elle se fit sur le modèle britannique – alors paré de toutes les vertus.

Le 19 décembre 1996 marque le coup d’envoi du processus avec l’adoption par le Parlement et le Conseil d’une directive établissant des règles communes pour le marché intérieur de l’électricité. La libéralisation devait se faire par étape, la libéralisation totale étant prévue pour le 1er juillet 2007. Cette directive et celle qui suivra deux ans plus tard sur le gaz – modifiées depuis – forment ce qu’on appelle le premier paquet énergie.

Les mesures prises se révèlent rapidement insuffisantes : les opérateurs historiques restent en position dominante. De nouvelles directives sont alors adoptées, notamment celle exigeant la séparation entre la production et le transport qui reste considéré comme monopole naturel et par conséquent, régulé comme tel.

Les 23 et 24 mars 2000, un deuxième paquet énergie est adopté au sommet de Lisbonne. Les chefs d’État et de gouvernement y affirment leur volonté d’accélérer le processus. Les textes législatifs subséquents seront adoptés en 2003. La première directive traitant explicitement des renouvelables sera publiée en septembre 2001 et sera suivie notamment par la feuille de route 2007 pour les renouvelables.

Le paquet suivant sera un paquet énergie-climat. C’est qu’entre temps la problématique du changement climatique s’était imposée comme prioritaire au sein de l’Union.

En 2009, ce paquet est adopté par le Conseil qui fixe trois objectifs à horizon 2020 (les 3x20) : 20% d’énergies renouvelables dans le mix énergétique des pays de l’Union à horizon 2020 (ces 20% sont ensuite déclinés pays par pays) ; une augmentation de 20% de l’efficacité énergétique ; une diminution de 20% des émissions de gaz à effet de serre par rapport à 1990.

En février 2010, face aux lenteurs du processus, le Conseil des ministres de l’Énergie décide que le marché unifié de l’électricité devra être en place d’ici fin 2014.

Le 24 octobre 2014, les États membres parviennent à un accord pour la décennie 2020-2030 : au moins 27% d’énergies renouvelables à horizon 2030 mais, cette fois, sans déclinaison pays par pays. C’est là une novation majeure. Une augmentation de 30% de l’efficacité énergétique ; une diminution de 40% des émissions de gaz à effet de serre par rapport à 1990. Un objectif particulièrement ambitieux puisqu’il s’agit de faire moins 20% en dix ans alors que l’objectif 2020 se traduisait par moins 20% en 30 ans et que, bien évidemment, les premiers 20% sont plus faciles à obtenir que les 20% suivants.

Les deux priorités de la Commission vont donc d’une part à la libéralisation des marchés et de l’autre à la diminution des émissions de gaz à effet de serre. Le moyen privilégié reste le développement des énergies renouvelables et des interconnexions.

Le 25 février 2015, Maros Sefcovic, vice-président de la Commission en charge de l’énergie et du climat, diffusait sa première communication : The European Union Energy Package. Rien de très nouveau dans cette communication si ce n’est l’accent mis sur la sécurité d’approvisionnement en gaz. Pour le reste ce texte reprend notamment l’essentiel des communications et lignes directrices antérieures, notamment la priorité donnée aux énergies renouvelables plutôt qu’aux énergies décarbonées (ce qui aurait inclut le nucléaire), ceci sans aucune référence aux effets pervers des énergies renouvelables intermittentes.

 

Les effets pervers de l’intermittence

Déstabilisation des marchés de l’électricité. Les prix observés sur le marché cessent d’être un « signal » indiquant une évolution de la marge du système et donc un besoin en investissement.

Une telle déstabilisation conduit à la détérioration de la courbe de charge des moyens de production électrique classiques (thermique à flamme et nucléaire) et, partant, de leur bilan économique. Ce qui, combiné avec la répercussion du développement des gaz de roches mères aux États-Unis sur le marché mondial du charbon, pousse hors marché un nombre croissant de centrales à gaz[2], pourtant nécessaires en absence de vent et de soleil (par exemple lorsqu’un anticyclone s’installe durablement sur l’Europe, comme c’est souvent le cas en hiver tandis que la demande est forte).

On rappellera ici que la libéralisation a été décidée à un moment où le système électrique européen était en situation de surcapacité. Mais, compte tenu notamment de la fermeture de centrales anciennes qui ne satisfont pas aux nouvelles normes anti-pollution, cette surcapacité s’étiole inéluctablement (surtout à la pointe), malgré la stagnation de la demande (due, dans des proportions difficiles à évaluer, respectivement à la conjoncture économique et une meilleure efficacité énergétique).

D’où la tendance de certains états à intervenir directement pour maintenir la puissance garantie à un certain niveau de défaillance (adequacy). C’est le « back up ». Et l’on voit se développer ici ou là des schémas de paiements de capacité qui risquent de conduire à une sorte de renationalisation insidieuse des politiques énergétiques.

Création de nouvelles contraintes pour l’ajustement en temps réel offre-demande (balancing). Certes les gestionnaires de réseaux ont l’habitude de gérer l’équilibre offre/demande, habitués qu’ils sont aux fluctuations de la demande (les soirs de match, par exemple !). Ici, l’intermittence introduit une dimension supplémentaire à la problématique dans la mesure où elle accroît considérablement la rapidité avec laquelle l’offre peut varier.

Par ailleurs, la priorité européenne étant de faciliter l’insertion des sources intermittentes, les nouveaux codes réseaux élaborés au niveau européen conduisent à un élargissement des marges de stabilité en fréquence (non sans poser quelques problèmes à certains utilisateurs) et, de ce fait, à de nouvelles contraintes pour le fonctionnement des centrales thermiques fossiles et nucléaires.

Renforcement des réseaux, en réponse à de nouveaux besoins de transport. Non seulement les capacités nécessaires augmentent du fait de l’intermittence mais la localisation optimale de ces nouvelles sources se situe généralement loin des zones de consommation.

Cette logique se déroule sous nos yeux ; elle a bien sûr un coût, un coût difficile aujourd’hui à quantifier mais qui va très au-delà de l’Umlage.

 

Un état des lieux en Allemagne

Production (source : AG Énergie Bilanzen - 2013) : en 2013, 24% de la production d’électricité étaient d’origine renouvelable, soit 7% pour la biomasse, 1% pour les ordures ménagères, 3% pour l’hydraulique, 5% pour le PV et 8% pour l’éolien. Ce qui représente 13% pour les renouvelables intermittentes.

En 2014, une année au climat plutôt clément, la production de renouvelables a été la principale source d’électricité. La part des sources intermittentes dans le mix électrique a été de 14,8% (elle est légèrement inférieure à 5% en France).

La déstabilisation du marché de gros de l’électricité. Le mécanisme exposé plus haut – l’afflux d’énergies renouvelables rémunérés par un tarif garanti – et la surcapacité actuelle en centrales ThF (thermique à flamme) ont conduit à une baisse spectaculaire des prix sur le marché de gros. Au 1er semestre 2014, le prix de gros s’est établi à 32 euros en moyenne, soit environ 20 euros de moins qu’en 2011. Compte tenu des fermetures supplémentaires de tranches présentement envisagées par les opérateurs, l’Agence fédérale des réseaux (Monitoring Bericht du 14 novembre 2014) envisage la possibilité d’un solde négatif de 5 GW de la puissance installée en base et semi-base d’ici 2018.

Des prix allemands très supérieurs aux prix européens. Les prix allemands de l’électricité sont les plus élevés d’Europe, à l’exception de ceux du Danemark, chantre de la décarbonation mais aussi champion d’Europe pour les émissions de CO2 par habitant malgré le développement de l’éolien. Le rapport de monitoring publié par le gouvernement fédéral en novembre 2012 faisait état d’un prix pour les ménages (TTC) de 25,30 cts euros/kWh en Allemagne et de 14,03 cts euros/kWh en France. En 2014, ce prix est passé à 29,13 cts euros/kWh (BDEW : pour une famille de 3 personnes et 3500kwh/an).

Nombreux sont les agriculteurs qui, avec quelques éoliennes au milieu de leurs champs et du solaire sur le toit, finissent par gagner plus que du fait de leur activité agricole.

La moitié de la production d’énergies renouvelables est commercialisée sur le modèle du Direcktvermarktung, ou vente sur le marché avec premium. Cette prime est la différence entre une valeur de référence (Anzulegender Wert) et le prix du marché. Ainsi, si l’AW est de 10,04,cts/kWh et prix myen du marché observé sur le marché du mois précédent, la premium sera de 6,4 cts/kWh.

Les industriels sont largement exemptés du paiement de l’EEG-Umlage (qui, mutatis mutandis, correspond à la CSPE électrique). Les électro-intensifs bénéficient également d’un accès privilégié aux réseaux THT (Très Haute Tension). Les électro-intensifs bénéficient ainsi d’une subvention évaluée à 4 milliards d’euros par an ; ils achètent leur électricité à un prix inférieur au prix français. Cet avantage porte sur 100 TWh environ (pour une consommation totale de 570 TWh) et concerne quelque 3000 entreprises.

L’essentiel du financement des renouvelables est donc à la charge des particuliers non producteurs, des petits et moyens industriels et des commerçants. Ce sont les non-privilégiés, les nicht-priviligierten. En 2014, ceux-ci auront acquitté au titre de la seule Umlage quelque 63 euros/MWh, soit plus d’une fois et demi le prix sur le marché. Le montant total de l’Umlage aura été de quelque 24 milliards. Ceci conduit à faire subventionner les gros (les Privilegierten et autres Umlage-befreiten- libérés de l’Umlage) par les petits.

Les gros consommateurs ne sont pas les seuls bénéficiaires : ainsi, le Land du Schleswig-Holstein, un état agricole et bien doté en vent, peut afficher, grâce à l’éolien, une balance énergie positive de 500 millions euros/an. La Bavière, de son côté, planifie sa propre sortie du charbon. Ce qui, dans cet État fédéral qu’est l’Allemagne, explique les difficultés que peut avoir le gouvernement allemand à corriger les errements du passé : il y a non pas un Énergiewende mais plutôt 1+16.

 

Des émissions de gaz à effet de serre par le secteur électrique qui repartent à la hausse.

La fermeture des premiers réacteurs en application du plan rappelé plus haut, a conduit à ce paradoxe que les émissions de CO2 augmentent en même temps que la production des énergies renouvelables. De 308 millions de tonnes en 2011, elles sont passées à 318 millions en 2013 (source Agora Énergiewende)

Le 3 décembre 2014, le gouvernement décidait un plan d’action qui devrait permettre de respecter les objectifs de réduction des GES de 40% d’ici 2020. Il souhaite une réduction de 80 millions de tonnes par an des émissions de CO2 par le secteur électrique[3].

Les vieilles centrales à charbon aux rendements médiocres sont progressivement mises au rebut tandis que 10 GW de nouvelles capacités auront été couplées au réseau entre 2011 et 2015.

Désormais, les nouvelles unités sont conçues pour pouvoir être équipées ultérieurement de systèmes d’extraction du CO2 (capture ready) mais la technologie de stockage géologique du CO2 est, comme rappelé plus haut, loin d’être au point (respect des exigences de la directive sur la sûreté des stockages, acceptabilité par le public etc.).

C’est que l’impressionnant développement de la production de gaz de roches mères aux États-Unis rend disponible pour l’exportation d’importantes quantités de charbon. Ceci conduit à une baisse des prix sur le marché mondial, en conséquence de quoi, l’électricité produite en Europe avec du charbon est moins chère que celle produite avec du gaz. Le charbon reste donc le combustible privilégié en Allemagne.

Mais, comme le dit Sigmar Gabriel, « on ne peut pas sortir à la fois du nucléaire et du charbon ».

 

Un besoin considérable en investissements

Les nouvelles lignes de transport. La contribution des consommateurs allemands aux coûts de réseaux est déjà très supérieure à celle des consommateurs français : 74 euros/MWh en Allemagne contre 41 euros/MWh en France.

Le besoin en nouvelles lignes (THT et distribution locale) reste important. À cela deux raisons. Les sources d’intermittentes éoliennes sont localisées principalement au nord alors que les nouveaux besoins sont principalement au sud. L’intermittence conduit, de par son caractère même, à un besoin considérable en ligne de transport.

Les renouvelables. En mars 2014 (source : VGB) le solaire et l’éolien représentaient 38% de la capacité installée (respectivement 69 GW et 183 GW) pour une production de 14% du total produit. Ce à quoi il faut ajouter que la durée de vie des éoliennes et des panneaux photovoltaïques est généralement estimée à une vingtaine d’années.

En févier 2013 Peter Altmaier, alors ministre en charge de l’Environnement et de l’Énergie au sein du gouvernement fédéral, publiait un papier intitulé Énergiewende sichern – Kosten begrenzen (garantir le succès du tournant – maîtriser les coûts).

L’erreur de départ (ein schwerer Geburtsfehler), explique le ministre, fut d’avoir encouragé le développement des énergies renouvelables sans avoir en même temps fixé une limite supérieure aux dépenses à engager. Un message qui fait écho à l’avertissement d’Angela Merkel évoqué plus haut et qui sonne comme un avertissement à ceux qui seraient tentés de suivre la voie allemande.

En janvier 2014, Sigmar Gabriel, successeur du précédent, déclarait : « l’Énergiewende risque d’échouer, du fait de son succès ». Dans le même temps, le ministre affirme qu’il ne s’agit nullement de remettre en cause les objectifs d’une l’Énergiewende dont le principe n’est pas contesté par l’opinion. C’est ce qu’il réaffirme encore dans le livre vert diffusé le 30 octobre 2014. Le ministre annonce qu’il ouvre un débat sur la nouvelle architecture de marché à mettre en place pour accompagner l’Énergiewende.

Laissons-lui la responsabilité de son diagnostic : « Les capacités actuelles garantissent la sécurité d’approvisionnement pour les prochaines années. La faiblesse des prix de marché traduit le fait qu’il existe une surcapacité considérable. La fermeture de nombreux réacteurs, l’annonce de la fermeture de beaucoup d’autres montrent que le marché envoie les bons signaux. Cette surcapacité doit être éliminée. »

Le ministre évalue à 60 GW la surcapacité du système, chiffre contesté par la VGB Power tech. Le débat qu’il proposé se structure autour de deux options : Capacity payments (trois variantes possibles), option dont on sait qu’elle est privilégiée par la France ; Electricity market 2.0 (par référence à la loi EEG 2.0).

Les inconvénients de la première option sont largement développés : ce sont des aides d’État, donc soumises à l’autorisation de la Commission ; c’est bien compliqué et çà coûtera cher ; cela conduit à une recentralisation du système, ce qui n’est pas efficient sur le plan économique etc.

La deuxième option consiste pour l’essentiel à laisser le marché fonctionner sans entraves, c’est-à-dire sans plafonnement des prix, ce qui permettra le financement des équipements de pointe sans conduire à une augmentation sensible des factures ; il faut aussi faire confiance à l’efficacité de ces mécanismes que sont la puissance de secours (back-up) et la gestion de la demande qui peuvent être développées rapidement et à un coût modéré ; avec en toile de fond les progrès attendus en matière d’efficacité énergétique[4].

En d’autres termes et en ce qui le concerne, le ministre a déjà choisi. Il en appelle par ailleurs à une Énergiewende européenne.

Cette consultation était ouverte aux partenaires européens, parmi lesquels la France. On comprend que les allemands cherchent ainsi à préempter le débat européen en en définissant les termes. Cette consultation devrait conduire à la rédaction puis à la publication d’un livre blanc pendant l’été 2015.

 

En attendant, la vie continue

Début juillet 2013, le gouvernement allemand annonçait sa décision d’accorder une subvention de 100 millions d’euros à E.on pour que celui-ci renonce à la mise sous cocon des unités 4 et 5 de la centrale d’Irsching. Cette subvention n’a pas été considérée comme aide d’état car provisoire, en l’occurrence jusqu’en mars 2016. E.on vient de notifier au gouvernement fédéral son intention de fermer les unités 4 et 5 à cette date, c’est-à-dire avec un préavis d’un an comme la loi l’y oblige. La question est maintenant de s avoir si la subvention va être renouvelée et sous quelle forme.

Le 14 octobre 2014, Sigmar Gabriel s’adressait directement au premier ministre suédois en lui demandant de faire pression sur la direction de Vattenfall pour que celle-ci confirme son projet de développement de deux mines de lignite situées en Lusace, jugées indispensables à la sécurité d’approvisionnement de la région.

Dans le même temps qu’il critique le mécanisme de capacité, le gouvernement allemand met en place une réserve stratégique pour l’hiver qui devrait atteindre 6 GW en 2018.

Les subventions à la houille restent conséquentes : si elles diminuent au niveau fédéral, pour passer de 1332 millions d’euros en 2015 à 794 en 2019, le land de Rhénanie du Nord Westphalie augmente la sienne qui passera de 171 millions d’euros en 2015 à 220 en 2019. Il s’git essentiellement d’aide à la fermeture d’anciennes mines.

 

*

 

En 2025 les renouvelables devraient atteindre 40 à 45% – objectif acté dans l’accord de gouvernement CDU-SPD d’octobre 2013. Mesuré à l’aune de ce seul critère, l’Énergiewende est sans aucun doute un succès. Mais avec des effets pervers.

Le potentiel de croissance des renouvelables pilotables étant limité, l’objectif 2025 pour les renouvelables intermittentes est voisin de 30%, soit plus qu’un doublement. Dans le même temps, la France pourrait bien atteindre en 2025 les 15% de l’Allemagne d’aujourd’hui. Ce qui devrait conduire à la poursuite de l’évolution à la baisse du prix de marché[5] pour ces prochaines années.

Les trois grands producteurs historiques que sont E.on, RWE et Vattenfall[6] ont vu leur capitalisation diminuer de près de 50% depuis 2010. E.on a annoncé la dissociation de ses activités : ENR et distribution d’un côté, production conventionnelle de l’autre. Vattenfall est en vente pour 3/4 milliards euros, etc.

Ce qui s’explique d’un côté par les pertes dues à la fermeture de réacteurs nucléaires, de l’autre par la réduction des bénéfices résultant de la baisse du taux d’exploitation des centrales conventionnelles – et la fermeture de certaines d’entre elles – comme il a été dit plus haut, un processus appelé à se poursuivre.

Ces trois opérateurs ont, chacun à sa manière, engagé des actions en justice devant les tribunaux civils.

L’Allemagne risque fort de ne pas atteindre son objectif de réduction des émissions de CO2, soit moins 40% à horizon 2020 (par rapport à 1990). Cet objectif, affiché par la coalition au pouvoir, n’a pas encore fait l’objet d’un examen par le parlement.

Les experts de Agora Énergiewende estiment qu’il faudrait, pour se placer sur la trajectoire 2050 (diminution des GES de 80 à 85% d’ici 2050), réduire la production d’électricité à base de charbon de 62% d’ici 2030 et de 80% celle à base de lignite.

Ainsi les débats sont vifs sur l’opportunité d’ouvrir de nouvelles exploitations de lignite, non seulement en Lusace comme on l’a vu plus haut mais, aussi au Brandenburg ou en Saxe. Les syndicats s’opposent à toute taxe sur le charbon (Abgabe,) rendant délicate la position du ministre.

 

 

 

 

 

[1]. Le stockage de l’électricité à proprement parler est strictement impossible. Ce qui se stocke, c’est de l’énergie chimique (batteries) ou mécanique (volants d’inertie), le gaz (P2G : H2, CH4) produit à partir d’électricité, eau dans des stations de pompage-turbinage, etc.

[2]. Après une vague de fermeture de cycles combinés au gaz (CCG), E.On vient d’annoncer la fermeture anticipée de la centrale nucléaire de Grafenrheinfeld (REP1345 MW) en Bavière. Il en est de même pour certaines centrales thermiques à gaz de France-Suez, RWE et EnBW.

[3]. L’année 2014 permet à l’Allemagne d’afficher de meilleurs résultats ; conséquence de la douceur du climat, la consommation totale d’énergie a diminué de 5% par rapport à 2013 (source AG Énergie Bilanzen).

[4]. L’objectif 2008-2020 consiste à réduire la consommation d’électricité de 10%. Or la consommation est pratiquement restée constante entre 2008 et 2013 (source VGB).

[5]. Comme le montrent Klaus Würzburg, Xavier Labandière et Pedro Limares le prix de la veille pour le lendemain diminue de 1euros/MWh chaque fois que l’on prévoit pour le lendemain une augmentation de l’injection de renouvelables de 1 GWh. (“Renewable generation and electricity prices : Taking stock and new evidence for Germany and Austria”, Energy Economics, December 2013). L’étude repose sur une analyse des données de juin 2010 à juin 2012. On pourra lire également ; François Benhmad et Jacques Percebois, « Wind power feed-in impact on electricty prices in Germany 2009-2013 », à paraître en 2015 dans le European Journal of Comparative Economics.

[6]. Le quatrième grand producteur historique, EnBW est la propriété du Land de Baden Würtemberg. Les quatre producteurs produisent 75% du total produit en Allemagne.




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